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puis au retour Ursule et ses compagnes percées de flèches par de cruels soldats, tout cela est rendu avec une adresse incroyable ; mais ne vous semble-t-il pas que le fini des détails, l’éclat du coloris, la délicatesse de la touche, sont le but principal de l’artiste ? N’y a-t-il pas dans ces figures plus de finesse que de sentiment ? Les expressions sont gracieuses, jamais profondes. C’est une merveille dans son genre, mais dans un genre limité, et de même ordre à peu près que certaines peintures dont les beaux missels de ce temps sont souvent enrichis ; chefs-d’œuvre de patience, plus voisins de la bijouterie que de l’art véritable.

Dans le grand triptyque au contraire, tout est sérieux, tout est senti. On dirait qu’en se rapprochant des proportions de la nature, le peintre agrandit aussi l’échelle de ses pensées et poursuit un plus noble but. Il songe à autre chose qu’à nous séduire les yeux ; il veut nous toucher, nous convaincre. Ces figures, au moins six fois plus grandes que celles de la châsse, n’ont pas le même charme, mais elles parlent bien mieux. Ce n’est plus de la calligraphie et comme un badinage de pinceau ; point de manière, rien de banal, rien de conventionnel : autant de portraits que de têtes, et des portraits ou respire un certain idéal, bien qu’on les sente étudiés sur nature. Le sujet du panneau principal est le mariage de sainte Catherine, la mystique légende que tant de peintres ont traduite chacun à sa façon. Ici l’ordonnance est austère et le ton solennel comme les arceaux gothiques sous lesquels nous sommes introduits. La sainte, qui reçoit l’anneau de la main du divin enfant, est à genoux devant lui, au pied du riche dais sous lequel sa mère-est assise. En face d’elle est sainte Barbe, qui tient un missel à la main et semble lire à haute voix. Toutes deux sont vêtues comme les grandes dames de la cour de Bourgogne. Des deux côtés du dais, deux anges aux ailes déployées sont les témoins du mariage, et derrière eux, debout, en méditation respectueuse devant le mystère qu’ils contemplent, deux nobles figures de saints, les deux saints Jean, patrons de l’hôpital et du peintre lui-même. Sur la face intérieure des volets, encore les deux saints Jean : l’évangéliste d’un côté, dans l’île de Pathmos ; de l’autre, le précurseur mis à mort ; à l’extérieur enfin, des figures peintes plus librement, avec moins de recherche, mais peut-être plus vraies et plus nobles encore, deux frères de l’hôpital, à genoux, en prière, sous l’assistance de leurs patrons, saint Jacques et saint Antoine ; puis, vis-à-vis, deux sœurs hospitalières, agenouillées aussi et protégées par sainte Claire et sainte Agnès, deux têtes admirables dont je renonce à décrire l’ineffable expression.

Pour moi, c’est dans cette grande page et dans deux autres compositions où les figures sont à peu près de même taille, et dont bientôt je vais parler, qu’Hemling m’apparaît sous son aspect le plus