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comme engendré Léonard, Raphaël et Titien : que devient l’histoire de la peinture italienne ? Vous en supprimez l’intérêt et la vie. L’ère de la perfection, cette ère fugitive et brillante, n’apparaît plus que comme un météore imprévu, isolé, que rien n’explique, qui ne se lie à rien. Aussi Lanzi lui-même et les critiques de son école, tout dédaigneux qu’ils sont de l’archaïsme, se gardent bien de mettre absolument dans l’ombre l’archaïsme italien. Ils ont certains égards pour les quatrocentistes et même pour les trecentistes. Sans leur rendre complet hommage, on voit qu’ils comptent avec eux, et tout au moins ils prononcent leurs noms. Pour les Pays-Bas, au contraire, jamais on n’a pris tant de peine. Qui s’inquiète en Europe de la généalogie de Terburg, de Metzu, de Ruysdaël ou d’Hobbema ? Quel cabinet, quelle galerie les met en compagnie de leurs ancêtres légitimes, des premiers maîtres de leur art national ? On les traite en enfans trouvés, on ne voit, on n’admire que leurs œuvres sans s’informer de leurs aïeux. N’en serait-il pas autrement, si ces aïeux nous étaient mieux connus, si des liens plus visibles unissaient l’une à l’autre ces deux générations d’artistes que deux siècles séparent ? Quelle source nouvelle d’observations et d’études dans cette noble filiation ? D’où vient qu’elle est comme ignorée, et que si peu de gens pensent aux deux van Eyck en admirant leurs fils ?

C’est que rien n’est plus rare qu’un van Eyck véritable, et que les faux van Eyck ne donnent guère envie de connaître les vrais. L’Italie, sur ce point, est encore beaucoup mieux partagée. Ses peintres archaïques ont ce grand privilège, que, même quand ils sont médiocres, ils n’ont pas l’air barbares. Un certain reflet d’idéal protège leur médiocrité. Les misères de leur coloris, les faiblesses de leur dessin, sont comme déguisées par le charme et par la noblesse des types qu’ils imitent et des traditions qu’ils respectent. Il n’y a pas sous cet heureux ciel complète disparate entre les chefs d’école et leurs humbles imitateurs, tandis qu’en Flandre, et dans le Nord en général, l’archaïsme, lorsqu’il n’est pas de premier ordre, tombe aussitôt presque au dernier. La distance est immense entre le maître, et l’apprenti : dès qu’on sort des chefs-d’œuvre, on tombe dans les platitudes, non qu’il n’y ait encore, même aux rangs secondaires, un certain éclat de palette et le précieux du pinceau ; mais la pensée, le sentiment sont dépourvus de justesse aussi bien que d’élévation : c’est une imitation de la nature minutieusement littérale, à la fois lourde et affectée, qui, sous prétexte d’expression, tombe souvent dans la grimace et parfois dans la caricature. De vieux flamands de cette sorte, on en rencontre en tous pays : je ne sais guère un musée qui n’en possède quelques-uns et qui ne les décore des noms les plus pompeux ; mais les véritables maîtres, les