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s’assit à terre, et prenant son instrument : « Garçons, s’écria-t-il, je suis fâché d’être hors d’état de vous suivre ; mais du moins, sur mon âme, vous ne manquerez pas de musique. » Et avec une joie ineffable il enfla sa cornemuse, dont les accens guerriers électrisèrent les camarades. Vers les dernières guerres de l’empire, les soldats français avaient fini par découvrir la puissance de ce talisman. À Waterloo, un cornemusier dont l’outre sonore avait été percée d’une balle dirigée avec intention s’élança furieux sur les nôtres, et ne voulut point survivre à ce qu’il appelait l’âme du régiment. Un officier écossais, à qui je demandais la cause du charme magique exercé par cette faible musette, me répondit un jour : « J’attribue les effets du bag-pipe à la vie de famille, qui est très forte dans nos montagnes et dont les liens se resserrent au lieu de se détendre par l’absence. le soldat highlander envoie volontiers à ses parens le fruit de ses petites économies. Cet attachement filial est si profond que la menace d’écrire au père ou à la mère a souvent agi plus que toutes les remontrances et que toutes les punitions sur des hommes du régiment dont la conduite n’était point irréprochable. Eh bien ! le soldat écossais retrouve tout cela, son enfance, le pays, la famille, peut-être même ses premières amours, dans la voix de cet instrument qui a sonné pour lui les premiers pas dans la vie. Il existait autrefois en Écosse des séminaires de cornemuse (bag-pipe seminaries), et quelques-unes de ces écoles, dont les traditions vivent encore, jouissaient d’une grande réputation à plusieurs lieues à la ronde. Aucune autre musique de régiment, si belle qu’elle fût, ne remplacerait pour nous cette musique nationale. »

Les Écossais, avec leur costume pittoresque, leur musique des montagnes, leurs traits âpres et enflammés par la bise, ajoutent un grand caractère extérieur à l’armée anglaise ; mais leurs mœurs ne sont pas moins intéressantes à étudier. On retrouve chez quelques anciens régimens de highlanders une sorte de réminiscence du clan dans les relations qui existent et surtout qui existaient il y a quelques années entre les officiers et les soldats[1]. Les highlanders ne sauraient cependant nous faire oublier les gardes à pied et à cheval, qui composent plusieurs corps d’élite, et parmi lesquels on trouve les types les plus parfaits de la beauté masculine propre à la race anglo-saxonne. Le 1er régiment de foot-guards célébrait au

  1. On cite aussi parmi eux plus d’un trait de probité. Un soldat du 91e était mort sur le champ de bataille à Vimeira ; avant d’expirer, il avait recommandé à un camarade de porter sa montre et son argent à un ami envers lequel il avait contracté des obligations. Pendant douze années, le camarade garda sur lui l’argent et la montre, et résista à toutes les tentations qui l’assiégeaient. Enfin il rencontra l’homme à qui ces objets étaient destinés et lui remit le dépôt sacré.