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dans l’absence d’un service hygiénique. Dévoiler le mal, c’était appeler le remède. Un fait que je n’ai pas trouvé mentionné dans les rapports des enquêtes officielles et qui pourrait bien jeter une certaine lumière sur la source de maladies restées en partie mystérieuses, c’est l’amour de l’Anglais pour l’indépendance. J’ai vu plus d’une fois des soldats qui marchaient seuls ou deux à deux dans les champs s’arrêter et regarder d’un air triste une alouette qui s’envolait. Cette alouette était une image de leur jeunesse rustique, et, moins heureux que l’oiseau, ils regrettaient de s’être coupé les ailes. Cette mélancolie de la liberté perdue jette pour eux un nuage sur la vie de caserne, ôte la saveur aux alimens et la douceur au sommeil. Le remède à ce mal de l’âme serait un système de distractions qui exerçât à des travaux utiles ou à des jeux gymnastiques les forces de ces natures vigoureuses. Deux femmes anglaises, deux jeunes filles, ont été touchées par les lacunes qui existaient et qui existent encore, quoique à un moindre degré, dans le système sanitaire de l’armée anglaise. L’une, Florence Nightingale, a immortalisé son nom, doux aux oreilles des Anglais comme la voix du rossignol, en substituant, durant la guerre de Crimée, un service actif et intelligent à un chaos douloureux, et en se montrant dans les hospices militaires l’ange de la charité. L’autre, moins célèbre, miss Harriett Martineau, a donné d’excellens conseils sur les moyens à prendre pour que la Grande-Bretagne ne perdît plus ses armées[1]. La mort du soldat donne lieu à une cérémonie triste et intéressante : le char funèbre s’avance précédé d’une bande de musiciens qui jouent sur un air lugubre, lent et solennel, ce cantique du rit anglican : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? » Les camarades suivent sur deux rangs et en silence, puis viennent la veuve en noir, les enfans et les autres membres de la famille. Si le défunt appartenait à la cavalerie, son cheval est du cortège, et, conduit par la bride, marche d’un air morne avec les bottes vides du cavalier pendant aux deux côtés de la selle.

Au camp d’Aldershott, on peut non-seulement se faire une idée de la vie du soldat anglais en général, mais, comme on trouve réunies sur le même champ de manœuvres l’artillerie, la cavalerie et l’infanterie, on peut en outre passer en revue certains régimens dont l’origine, l’uniforme et les mœurs militaires se distinguent par des traits particuliers. Ce qui me frappe le plus dans l’armée anglaise est le soldat écossais. Les premières compagnies de highlanders furent formées en 1715, après la grande insurrection qui avait failli

  1. Dans un livre sur l’hygiène des troupes, qui a beaucoup occupé la presse anglaise. England and her Soldiers (l’Angleterre et ses Soldats).