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rues. Ces cabanes se divisent en logemens pour les officiers, les sous-officiers et les soldats. L’été, on y étouffe ; en revanche, on y gèle l’hiver. Toutes les huttes (c’est le nom qu’on leur donne) ne sont pourtant point des chambres à coucher ; il y en a qui répondent aux différens besoins de la vie militaire. J’ai trouvé dans cette colonie une salle de bains pour les soldats, une buanderie où les femmes se livrent aux travaux de blanchissage, une cuisine avec une armée de marmitons présidée par un caporal à l’œil sévère, au geste bref, qui donnait des ordres, un hôpital dont les huttes contiennent une douzaine de lits et se distinguent par des portes peintes en blanc, une bibliothèque, une école pour les enfans, une école pour les hommes, un bureau de poste et un télégraphe électrique, dont les fils, émus par le vent d’ouest qui continuait à souffler, vibraient au-dessus de ma tête ainsi que les cordes d’une harpe éolienne. Chemin faisant, vous rencontrez aussi la hutte de famille (family hut) pour les soldats mariés. Là, de temps en temps, un soldat aux traits durs et bronzés berce dans ses rudes mains un marmot qui le prend bravement par la barbe. Le camp se divise en deux parties, south-camp et north-camp, séparées par un canal sur lequel se pratiquent des manœuvres d’artillerie. Plus on avance et plus il semble qu’on retourne aux temps primitifs. Dans le camp du nord, les huttes m’ont paru moins nombreuses que les tentes. Chacune de ces tentes, en forme de tasse retournée, abrite une douzaine d’hommes qui couchent sur la paille. Les pieds réunis autour du poteau central qui soutient le frêle édifice et la tête opposée au mur de toile, ils représentent assez bien les rayons d’une roue. Le vaste manteau d’ordonnance roulé sous la tête leur sert d’oreiller. Le dîner des soldats cuit en plein air devant un feu de bivouac comme aux âges homériques, et si j’en juge par les tas de pommes de terre et les lourds puddings qu’on voit bouillir dans la chaudière, l’appétit des guerriers n’a pas dégénéré dans la Grande-Bretagne. Chacune des deux divisions nord et sud a son église, sorte de hangar construit en bois, car l’homme ne peut donner à Dieu que ce qu’il a, et ni la pierre ni la brique même n’ont encore pénétré dans le camp d’Aldershott, dont elles altéreraient le caractère. Toute cette population dure et vigoureuse, brûlée par le soleil, mordue par les vents, trempée comme l’acier par l’eau du ciel, m’a d’ailleurs paru jouir d’une robuste santé. L’intention qui a dicté la formation de ce camp est facile à saisir : on a voulu y faire l’éducation pratique des soldats et des officiers. Ce but a été atteint, et les vingt mille hommes qui couvrent les hauteurs d’Aldershott composent le noyau de la meilleure armée qu’ait peut-être jamais eue l’Angleterre.

La vie des officiers présente à cette rude école des traits qui ne se rencontreraient point dans les casernes. Ils logent, comme les