Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/917

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’ai nommé le lash. Le fouet est pour certains faits graves, comme par exemple le cas de désertion, appliqué au soldat anglais[1]. Je ne décrirai point une cruelle correction à laquelle je n’ai jamais eu le courage d’assister. Il serait pourtant injuste de dire, ainsi que je l’ai lu quelque part, que cette flagellation (flogging) soit dans les mœurs et dans le caractère anglais. La Grande-Bretagne s’est reproché depuis longtemps et se reproche encore tous les jours avec éloquence une trace des temps de barbarie que doivent effacer au XIXe siècle les progrès de la civilisation et du sentiment chrétien. Déjà le duc de Wellington avait réduit à cinquante le nombre des coups dont le maximum était alors de trois cents[2]. Il y a un an, l’exécution de la sentence d’un conseil de guerre contre un soldat fouetté à Windsor dans des circonstances exceptionnelles et douloureuses provoqua un cri d’horreur qui courut d’une extrémité à l’autre du royaume. Le duc de Cambridge, allant au-devant de l’émotion publique, écrivit une circulaire qui fut reçue avec enthousiasme. L’armée, d’après les ordres du commandant en chef, devait être divisée en deux catégories. La première, excepté un très petit nombre de cas extraordinaires, est entièrement à l’abri des châtimens corporels. La seconde, qui embrasse des hommes dégradés pour des offenses graves, reste, il est vrai, soumise à l’ancien système de punitions ; mais l’intention du prince royal est qu’on « évite autant que possible » de recourir, même envers ces derniers, aux rigueurs de la loi militaire. Les soldats déchus peuvent d’ailleurs se racheter ; c’est un purgatoire, ce n’est point un enfer ; une année de bonne conduite non interrompue les ramène dans la première classe. Cette réforme, qui introduit une division morale dans l’armée[3] et qui limite les conditions du flogging, fut universellement saluée comme une excellente idée d’administration et comme un acte d’humanité. Je dois ajouter que l’opinion publique alla plus loin : elle envisagea cette mesure comme un pas vers l’abolition d’une peine brutale et dégradante. Des pétitions couvertes d’un assez grand nombre de signatures et des meetings réclamèrent dès lors et réclament encore tous les jours le triomphe complet d’une législation plus douce et plus en harmonie avec la dignité des temps

  1. J’ai déjà eu l’occasion de faire remarquer une des particularités de l’esprit anglais, qui est de tourner en dérision les choses qu’il a le plus à redouter. Les soldats donnent le nom de chat-à-neuf-queues, cat-of-nine-tails, au terrible instrument de supplice qui est dans la main des cours martiales.
  2. Autrefois ce maximum avait même été fixé à mille.
  3. Aucun sous-officier ne sort, comme il est facile de le prévoir, des rangs de cette seconde catégorie, qui contient les brebis noires du troupeau. Au contraire, les soldats qui ont servi pendant plusieurs années, et qui ne sont jamais descendus de la première dans la seconde classe, se trouvent naturellement désignés aux grades de caporal ou de sergent.