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l’une est à peu près interdite au recrue, se trouve plus profond que s’il avait été creusé par la loi, car cet abîme, il n’est pas au pouvoir du gouvernement lui-même de le combler. Ses libérales intentions ont échoué à plusieurs reprises, et elles échoueraient encore aujourd’hui devant des obstacles qu’il est plus facile de honnir que de surmonter. Ce n’est pas à dire pourtant qu’il n’y ait aucun remède. Il faudra seulement une longue suite de réformes et l’action du temps pour modifier sur ce point la constitution de l’armée anglaise. Un grand pas vers le changement de l’esprit militaire serait une limite apportée à l’achat des commissions, si même on n’abolissait cet usage. Le gouvernement, d’accord avec le duc de Cambridge, paraît disposé à entrer dans cette voie. L’attrait de l’émulation, qui aujourd’hui est à peu près nul, agirait alors sur le recrutement. Je n’affirmerai point, avec quelques économistes, qu’en ouvrant dans les rangs de l’armée des perspectives plus larges, on pourrait supprimer la bounty ; mais l’argent ne serait plus du moins le seul motif qui attirerait sous les drapeaux. L’idéal, dans un état libre, serait sans doute un système qui ferait appel aux goûts et aux sentimens du recrue par des considérations plus nobles que celles de l’intérêt ; toutefois il ne faut point perdre de vue l’intervalle qui, surtout en fait d’administration militaire, sépare l’utopie de la réalité.


II

On sait maintenant pourquoi et comment le soldat anglais s’enrôle. Après avoir prêté serment, les recrues sont dirigés vers les dépôts ou les garnisons. À leur arrivée, on leur coupe les cheveux ras selon l’ordonnance militaire, on leur fait endosser l’uniforme, et on les dresse au service. Trois ou quatre mois après, vous ne reconnaîtriez plus dans les casernes les élémens bruts du recrutement, dégrossis qu’ils sont par la parade, la discipline et le maniement des armes. En même temps que les nouveaux soldats apprennent l’exercice, ils doivent suivre l’école du régiment, qui les occupe deux heures par jour dans l’infanterie et une heure dans la cavalerie. La caserne est, plus encore que dans les autres pays, la maison, le home du soldat anglais. Il n’y a pas en effet dans la Grande-Bretagne de troupes en marche logées par ordre dans les villes ou les villages à la charge des habitans[1]. Cet usage existait autrefois, et il s’est même conservé jusque vers le milieu du dernier siècle ; mais il provoqua des insurrections, et l’autorité jugea elle-même

  1. Quelques fournisseurs de vivres sont seuls soumis à ce genre d’impôts, et encore ils s’en plaignent amèrement.