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je ne crains point de le prédire hardiment, ne s’implantera jamais sur le sol britannique. À Dieu ne plaise pour cela que je condamne une mesure d’état qui, sous la main des assemblées nationales, a sauvé la France des maux de l’invasion étrangère ; mais je ne saurais non plus blâmer un autre système qui se couvre contre toutes les critiques du respect de la liberté individuelle. Un Anglais à qui je faisais observer que ces enrôlemens payés pourraient devenir, à un moment donné, une lourde charge pour la nation me répondit : « Mieux vaut donner notre argent que d’attenter, selon nos idées, à la dignité de l’homme. »

Dans quelles couches de la population se recrute l’armée anglaise ? Pour répondre à cette question, il nous faut chercher les motifs auxquels, à défaut d’une loi coercitive, l’état peut faire appel pour stimuler les enrôlemens. Ces motifs sont au nombre de trois : le patriotisme, l’inclination et la nécessité. Le patriotisme est, du moins en temps de paix, une faible ressource. Je ne veux point dire que ce sentiment vibre peu dans le cœur des Anglais, il est au contraire la corde dominante ; seulement l’amour-propre britannique tient plus à lutter contre les autres nations avec les armes de l’industrie et du commerce qu’avec le fusil sur les champs de bataille. Quant à l’inclination naturelle, il y a bien des hommes dans le royaume-uni qui semblent nés pour une vie d’aventures ; mais ils trouvent tant d’occasions d’exercer sur terre et sur mer leur courage, leur humeur errante et leurs goûts chevaleresques, sans s’attacher aux drapeaux, que l’état ne saurait s’appuyer, pour faire une armée, sur le concours de ces Anglais d’ailleurs exceptionnels. Et puis toute vocation est ambitieuse : or quelle perspective s’ouvre pour celui qui s’engage comme soldat dans les rangs de l’armée anglaise ? Un champ d’avancement à coup sûr fort limité, puisque la plupart des officiers sortent des collèges militaires. Reste donc la nécessité. C’est ici, selon la parole d’un officier anglais, le véritable sergent recruteur. Très peu entrent dans l’armée par choix, beaucoup sous la pression douloureuse des circonstances. S’il ne se trouvait point de pauvres, la Grande-Bretagne ne compterait guère de soldats. Il n’y a en effet que le besoin, et un besoin impérieux, qui détermine l’Anglais dans la plupart des cas à aliéner un privilège dont il est si jaloux, son indépendance, sa liberté personnelle. Cet exposé des faits restreint de beaucoup, on en conviendra, le sens qui doit s’attacher au mot d’enrôlement volontaire. Les recrues sont à certains égards les conscrits de la faim. Ce n’est pas seulement la récompense d’argent, bounty, qui les attire et les subjugue : c’est la perspective de trouver un toit, l’habillement et la nourriture.

On peut dès lors deviner dans quelles eaux, pour me servir de la métaphore anglaise, pêche l’état afin d’entretenir et de renouveler