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l’armée[1], nous devrons rechercher quel est le système actuel de recrutement, quelle est la vie des soldats et des officiers anglais dans les casernes ou les camps avant de les observer en face de l’ennemi.


I

Je traversais un jour Parliament Street pour me rendre au palais de Westminster, où devait avoir lieu une séance solennelle de la chambre des communes. C’était un moment où l’air était chargé de bruits de guerre qui se sont évanouis comme ils étaient venus, avec les nuages chassés par le vent, de l’autre côté du détroit. Je remarquai dans une rue obscure et sale, Charles Street, un mouvement inaccoutumé. Des sergens, avec des rubans de diverses nuances noués à leurs shakos, stationnaient pompeusement aux abords des public-houses, décorées elles-mêmes d’enseignes et d’inscriptions militaires. Des drapeaux attachés à une corde qui traversait la rue de distance en distance laissaient pendre tristement les couleurs fanées de la Grande-Bretagne. Des groupes de jeunes gens pauvrement vêtus, et d’assez mauvaise mine, causaient avec les sergens ou entraient avec eux dans les cabarets. Les curieux s’arrêtaient, je fis comme les curieux, et, m’adressant à un policeman, je lui demandai ce qu’il y avait, what is the matter ? L’officier civil me répondit, avec son flegme britannique : « Il n’y a rien ; il s’agit de protéger la vieille Angleterre, voilà tout. » Charles Street est en effet à Londres la rue des enrôlemens[2]. Les public-houses, qui m’ont d’ailleurs l’air de prospérer, sont de véritables casernes où les sergens recruteurs tiennent leur cour plénière, et où ils logent leurs hommes pour un prix convenu par semaine avec le publicain. Ces hommes sont des recrues, recruits, c’est-à-dire, selon le langage vulgaire, de pauvres diables qui ont accepté le shilling de sa majesté.

Tout individu en effet qui a reçu de l’argent d’une main attachée au service du recrutement est de par la loi considéré comme soldat, et il a dès lors droit à un billet de logement, billeting. Cette première démarche n’est pourtant pas encore irrévocable : pour que l’engagement soit complet, il faut que le recrue subisse un examen

  1. Voyez la livraison du 15 septembre 1800. Il s’est glissé dans cette première étude sur l’armée une erreur de nom propre. Page 203, ce n’est point le marquis d'Anglesea, grand-maître de l’artillerie, mais le marquis d’Anglesey qu’il faut lire.
  2. Il y a dans le royaume-uni neuf districts ou quartiers-généraux de recrutement, qui se composent d’un officier d’état-major inspecteur, inspecting field-officer, d’un adjudant, d’un caissier et d’un médecin, staff-surgeon. Ces neuf districts, établis dans neuf grandes villes, se ramifient en trente subdivisions, à chacune desquelles est attaché un officier subalterne pour un temps qui n’excède pas deux années.