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et légalisez sa puissance, et vous aurez élevé le plus fort obstacle à l’arbitraire d’un gouvernement centralisé. Vous aurez créé et armé la véritable aristocratie de la France. Vous aurez dispensé Paris de faire des révolutions, car il sera le maître. Supposez que Paris eût quarante-cinq députés en 1848, il n’y avait pas de 24 février.

Tel est le remède un peu homœopathique qui nous est proposé. Il n’accommodera guère ceux qui grondent de voir les départemens traînés à la remorque de la capitale, et il y a grande apparence qu’ils y verront un nouvel échantillon de ce genre de libéralisme qui préfère le progrès à la liberté. Une école puissante en France pourrait en effet être caractérisée par ces derniers mots, et je ne sais si l’écrivain que nous avons tant cité n’en est pas un des plus redoutables représentans, d’autant plus redoutable qu’il se défend avec une louable énergie des entraînemens auxquels elle a quelquefois cédé. Nous aimons mieux nous attacher à ce vieux système de garanties qu’il est du reste loin de repousser, et qui ne pourra être jugé insuffisant qu’après une expérience franche et décisive. Regardant comme accordé qu’il y aura toujours beaucoup de centralisation en France, et que la tendance de tout gouvernement même libre est centralisatrice, nous persistons à croire que les modérateurs de ce mouvement dans ses excès et ses écarts sont le contrôle par la discussion publique et universelle dans les chambres, le contrôle également universel par la presse, le concours de l’élément électif ou représentatif à tous les degrés, état, département, commune. Le jury tient quelque chose du même rôle auprès du pouvoir judiciaire, et la garde nationale auprès de la force publique. Nous y ajouterons la responsabilité effective du pouvoir dans toute la hiérarchie, et la libre concurrence de l’action privée ou de l’association particulière partout où elle est possible, par exemple dans l’instruction publique, dans l’assistance publique, dans le service de la viabilité et des transports, dans certaines mesures de police municipale qui intéressent l’assainissement, la salubrité, la sûreté, etc. Ce ne sont pas là de grandes nouveautés, bien que quelques-unes n’aient eu souvent parmi nous qu’une existence nominale. Aucune cependant ne peut être efficace que par la volonté d’en user. les organes ne valent que par l’âme qui en dispose. Jamais au fond ce ne sont les armes légales qui ont manqué, soit au pouvoir, soit à la société pour se défendre. C’est à l’esprit qui l’anime plus encore qu’à ses institutions qu’un peuple doit tout ce qu’il est et tout ce qu’il vaut. Les institutions donnent aux nations la liberté, mais non la volonté ; c’est aux nations de vouloir.


CHARLES DE REMUSAT.