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qu’elle ait plus d’avantages que d’inconvéniens ; encore toutes ces conditions sont-elles comme non avenues, si elle est injuste.

C’est une maxime de l’Écriture et du bon sens que tout ce qui est permis n’est pas expédient. Quand donc telle ou telle coercition, tel ou tel emploi de l’autorité serait utile et praticable sans violer la justice, il n’en serait pas pour cela sage et désirable, n’étant pas nécessaire, car, à moins d’avantages bien sérieux et bien éclatans, tout ce que fait l’homme volontairement sous la loi de sa raison, tout ce qu’il fait parce qu’il le croit bon vaut mieux que ce qu’il fait parce qu’il y est contraint. C’est ici que nous retrouvons le principe réclamé au début, le bien moral de l’individu passant avant tout. C’est sur ce point que la dissidence est flagrante entre le socialisme et nous. Oserai-je dire qu’elle vient de ce que le socialisme met le bien-être sur la même ligne que le droit ? Par un sentiment de fraternité, par un népotisme démocratique ou par l’effet d’une morale toute fondée sur la sympathie, on s’est persuadé dans ces derniers temps que l’état devait éviter aux hommes toutes les peines évitables, réparer tous les maux réparables, et substituer sa tutelle à leur libre arbitre. La révolution française a failli remplacer la déclaration des droits par une déclaration des intérêts. C’est parce que la liberté des hommes est plus sacrée que leur bonheur que nous résistons à des conseils qui attendriraient peut-être les gouvernans, mais énerveraient les gouvernés. Toutes les fois que la question est douteuse, toutes les fois que des antécédens impérieux ou une nécessité générale et sentie ne vous enlèvent pas la faculté de choisir entre le système coercitif et le système volontaire, entre l’action publique et l’action individuelle, n’hésitez pas, récusez le pouvoir et fiez-vous à la liberté.

Tout ceci, j’en conviens, n’est qu’une limite vaguement indiquée. Trouver une formule générale pour se décider dans tous les cas serait bien habile. Guidons-nous par quelques exemples.

En voici un qui ne prête à aucun débat, la guerre. Le gouvernement seul doit la décider et la faire, car seul il le peut. Dans l’état du monde, le contraire passerait pour folie. Le droit de battre monnaie n’est guère plus contesté. Il serait plus susceptible de l’être. Dans l’origine, ce privilège pourrait bien avoir été déclaré régalien pour des raisons médiocrement honnêtes. L’exemple du commerce des lingots et la garantie des matières d’or et d’argent permettraient à la rigueur de laisser la fabrication des monnaies aussi libre que celle des bijoux et de l’argenterie ; mais cette innovation aurait des inconvéniens sans nul avantage, et ne pourrait être réclamée que par l’orthodoxie superstitieuse du laisser-faire économique.

L’ordre public est manifestement du ressort de la puissance publique.