Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui en ferait la découverte, et où trouver la conscience et la raison, si ce n’est dans l’homme qui fait les lois et les gouvernemens ? Que le socialisme ne dise pas tant de mal des individus : après tout, la société en est faite.

On pourrait croire que ce n’est là qu’une question de métaphysique, et qu’à la pratique on s’accorderait. Je le crois, grâce à l’inconséquence. Un certain nombre de vérités sont devenues de droit commun, qui sont plus fortes que tout système. Personne, je suppose, n’oserait décréter la suppression de la liberté religieuse ; qu’est-ce cependant, si ce n’est pas une liberté civile, même une liberté individuelle ? Le corps politique n’en a que faire, et même l’unité religieuse lui conviendrait mieux. Aussi, là où cette unité existe, un socialiste conséquent aurait-il grand’peine à s’en départir ; la prudence comme la foi le mettrait du côté de l’intolérance. Comment la religion de l’état ne serait-elle pas la meilleure ? Et si elle est la meilleure, pourquoi l’exposer à la concurrence de l’erreur, aux attaques de l’hérésie, c’dst-à-dire de la religion de l’égoïsme ? Mais n’entendons-nous pas tous la voix de la conscience qui nous crie que ce sont là des maximes nulles de plein droit ?

Je suis avec les défenseurs de l’état contre ceux qui le nient, le minent ou l’avilissent ; mais à ceux qui ne s’effraient pas du mot de socialisme, il faut bien dire que le mot d’individualisme ne me fait pas peur, et que sans manquer à la majesté de la loi, sans rien contester à l’état de ses droits, et même en donnant à toutes ces choses, loi, état, public, un nom encore plus imposant et plus cher, en les appelant la patrie, je ne suis pas disposé à faire bon marché du droit de l’individu. En un certain sens, je le mets au premier rang, car au fond c’est pour lui que tout tourne en ce monde, et il est la raison dernière de la société.

« Pour moi, disait un grand docteur de l’église[1], la sanctification de la personne du monde la plus pauvre et la plus vile me paraît quelque chose de plus grand que les établissemens ou les renversemens des empires. » Cette parole n’est pas seulement une pensée toute chrétienne ; elle exprime dans les termes mystiques ce qui est vrai aussi pour une libre philosophie, c’est que rien n’est sacré en ce monde à l’égal de la créature humaine. Mérite, dignité, moralité, liberté, tout ce qu’il y a de saint ou d’auguste, où le trouver sur la terre hors de l’être qui a conscience de toutes ces choses, et qui, par là même, seul les possède et les représente ici-bas ? Nous ne sommes point dans l’école de Platon, et je n’en voudrais pas parler le langage ; mais enfin on accordera bien que l’homme

  1. Arnauld.