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son goût quand il écrit. Plus il a de penchant pour la démocratie, mieux il fait de ne pas la flatter en démocratisant son style, et ce dédain de la popularité de la forme ajoute à l’estime que nous portons aux convictions comme à la personne de l’écrivain. Tel qu’il est, c’est un véritable publiciste, digne de discuter avec les plus sincères et de se mesurer avec les plus habiles.

Dans un premier ouvrage, qui a rencontré ici même le plus savant appréciateur[1], M. Dupont-White, partant de la foi en un progrès général de l’humanité, s’est demandé quel était, de l’individu ou de l’état, l’agent le plus énergique, le plus actif et le plus nécessaire de ce progrès. Ayant devant lui une doctrine qu’il a nommée l’individualisme, qui attend beaucoup de l’individu, et n’exige pour lui de l’état que sûreté et liberté, il a soutenu une thèse toute contraire qui, espérant plus de la société représentée par l’état que de l’individu, s’expose volontiers au nom de socialisme. Le mot n’effraie pas autrement M. Dupont-White ; mais, sans l’accepter ni le craindre, il se bornait, dans son premier ouvrage, à montrer que non-seulement les progrès de la société agrandissaient le rôle de l’état au lieu de le réduire graduellement à un pouvoir négatif, mais encore que le développement de la notion de l’état et de son action était tout à la fois un avantage pour l’état et pour l’individu, une source autant qu’un signe de progrès au point de vue de la justice et du bonheur. M. Dupont-White est donc un libéral qui s’est rangé parmi les défenseurs de l’état, au risque de s’y trouver dans la compagnie de Louis XI, de Richelieu, de Louis XIV et de Napoléon.

C’était toucher de bien près à la question de la centralisation, et dans son nouvel ouvrage il s’est décidé à l’appeler par son nom et à prendre en main la cause de cette cliente peu abandonnée, qui, riche en parens et en époux, n’a rien de commun avec la veuve et l’orphelin. En écrivant ces paroles, hâtons-nous de repousser tout soupçon de vouloir assimiler à un degré quelconque un esprit indépendant, qui prend la vérité où il la trouve, avec cette race d’écrivains qui ne la cherchent jamais que du côté du plus fort. L’histoire, la réflexion, l’observation ont fait tous les frais des convictions du penseur qui nous occupe. Dans la centralisation, il ne voit qu’un grand fait, qu’une force sociale. S’il la soutient, il ne soutient certes pas tous ceux à qui ce fait peut profiter, ou qui exploiteront cette force. Il n’est pas une ligne de son ouvrage qui indique le moindre désir de plaire à quelqu’un ou de servir à quelque chose qui ne fût pas la France, la France d’hier comme celle de demain, et il laisse entrevoir de tout autres desseins que celui de s’accommoder au

  1. Du Progrès dans les Sociétés et dans l’État, par M. Littré. Revue du 15 avril 1859.