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est susceptible de transformations indéfinies. — Toute organisation officielle du christianisme, soit sous la forme d’église nationale, soit sous la forme ultramontaine, est destinée à disparaître. — Un christianisme libre et individuel, avec d’innombrables variétés intérieures, comme fut celui des trois premiers siècles, tel nous semble donc l’avenir religieux de l’Europe. Ils se trompent également, et ceux qui croient que la religion est destinée à perdre peu à peu son importance dans les affaires du monde, et ceux qui voient dans une sorte de déisme le terme final de toute religion. La religion est une chose sui generis ; la philosophie des écoles ne s’y substituera pas. Le déisme, qui a la prétention d’être scientifique, ne l’est pas plus que la religion ; c’est une mythologie abstraite, mais c’est une mythologie. Il exige des miracles ; son Dieu intervenant providentiellement dans le monde ne diffère pas au fond de celui de Josué arrêtant le soleil. Ajoutons que des dogmes étroits, secs, n’ayant rien de plastique ni de traditionnel, ne prêtant à aucune interprétation, sont pour l’esprit humain une bien plus étroite prison que la mythologie populaire. Herder, Fichte, Schleiermacher n’étaient pas assez orthodoxes pour une chaire de religion naturelle, au sens de Voltaire ; ils ont été d’excellens théologiens. Le principe religieux et nullement dogmatique proclamé par Jésus se développera éternellement, avec une flexibilité infinie, amenant des symboles de plus en plus élevés, et en tout cas créant pour les divers étages de la culture humaine des formules appropriées à la capacité de chacun.

Je sais qu’à beaucoup de personnes une telle solution paraîtra une utopie, et elles auraient raison si l’on parlait ici de mesures à prendre ou de législation à réformer ; mais ce n’est point de la sorte que s’opèrent les grandes transformations de l’humanité. La législation des cultes peut rester tant que l’on voudra ce qu’elle est ; la seule question intéressante pour le philosophe est de savoir de quel côté va le monde, ou, en d’autres termes, de voir clairement les conséquences qu’impliquent les faits accomplis. Or, s’il est un principe qui s’établisse d’une manière irrévocable, c’est que le domaine de l’âme est celui de la liberté et de l’individualité. Les deux grandes forces de l’Europe moderne, la démocratie française et l’esprit anglais, sont d’accord sur ce point. Les idées opposées sont liées à des partis sans avenir. Tout le faubourg Saint-Germain, avec son oracle M. de Maistre, pèse moins dans le monde que quelques quakers de Manchester. Comment voulez-vous que ces chrétiens lancés au fond de l’Amérique et de l’Océanie conservent avec la vieille Rome, notre mère à tous, les mêmes liens d’obéissance que ceux qui lui doivent la civilisation et la foi ? Le christianisme libre est seul éternel et universel. L’idée d’un pouvoir spirituel opposé au pouvoir temporel doit être modifiée. Certes le spirituel n’est pas le temporel ; mais