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la même liberté ? Pourquoi exige-t-il de l’état que les opinions différentes de la sienne soient exclues de l’enseignement ? Si l’évêque pèse sur l’état ; il ne doit pas trouver mauvais que l’état pèse sur lui. S’il demande à l’état qu’il ne se dise rien dans les chaires publiques qui soit contraire à ses idées, il ne doit pas trouver mauvais que l’état révise ses mandemens pour qu’il ne s’y trouve rien de contraire à sa politique. Il est peu naturel que le clergé ne puisse recevoir les bulles de Rome que par voie diplomatique ; mais il faut se rappeler que le pape est un souverain, et que ses nonces sont des ambassadeurs. Il est absurde que l’état force le prêtre à chanter des Te Deum et le poursuive quand il refuse de prier ; mais il faut se rappeler que ce prêtre tient de l’état un immense privilège, que sa puissance, ses richesses, son règne passé et les beaux débris qui lui en restent, il les doit directement ou indirectement à l’état, qui, depuis des siècles, lui a maintenu un monopole exclusif. Soyez libres, à la bonne heure ; mais qu’alors tous le soient ! Ne demandez pas à l’état de reconnaître que vous possédez la vérité ; défendez-vous sans invoquer l’état contre vos adversaires ; ne lui demandez qu’une chose, celle à laquelle tous ont droit, la liberté de croire ce qui vous semble vrai et de faire partager aux autres votre conviction par des moyens avoués de la stricte équité.

C’est là, je le sais, une abnégation impossible. Le catholicisme, persuadé qu’il travaille pour la vérité, essaiera toujours de faire servir l’état à sa défense ou à sa propagande. La formation d’un parti catholique ayant pour principe d’employer son influence dans l’intérêt de l’église, d’appuyer ou d’attaquer les gouvernemens, suivant qu’ils servent ou ne servent pas sa foi religieuse, est la conséquence inévitable du système ultramontain. L’histoire de ce parti, auquel n’a manqué ni le talent ni l’habileté, est déjà longue de près d’un demi-siècle ; il a toujours parlé de liberté : peut-on dire que ce grand mot ait toujours été la règle de sa conduite ? Les belles résolutions de tolérance qu’il prenait quand il était faible, les a-t-il gardées au lendemain de sa victoire ? Quand le parti catholique, dans les deux ou trois années qui suivirent la révolution de 1848, arriva à une importance de premier ordre, respecta-t-il beaucoup ses adversaires ? Toutes les lois qu’il vota, songea-t-il qu’un jour elles pourraient lui être appliquées ? Le concordat de l’Autriche, celui du grand-duché de Bade, qui furent son œuvre, sont-ils vraiment des œuvres de liberté ? Lui qui approuvait la révolte de la Belgique contre la Hollande, qui approuverait la séparation de l’Irlande, que dit-il du soulèvement des Romagnes ? Il est certain pourtant que les traités de 1815 ne sont guère moins violés dans un cas que dans l’autre. Il déteste à bon droit la terreur ; mais il fait l’apologie de Pie V et de l’ordre de Saint-Dominique. Il s’élève contre la tyrannie ;