Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au plus bas degré, il faut placer sans contredit le système qui fait de l’église une fonction de l’état. Les effets de ce système sont fort divers selon la qualité même des gouvernemens auxquels l’église se trouve assujettie. Assez avantageux dans les pays où les gouvernemens n’ont qu’une action très limitée, il est fatal dans les pays despotiques. En Russie, il a amené les dernières conséquences de la dépression et du servilisme. L’église russe, humiliée, pauvrement recrutée, sans germe apparent de progrès, se traîne dans les bas-fonds du christianisme et presque à sa limite. On ne cite pas d’homme distingué qui soit sorti de son sein. En Suède, l’église d’état aboutit à une intolérance choquante et à une assez grande médiocrité. En Angleterre, l’église officielle, après avoir été odieusement persécutrice à la fin du XVIe siècle et au XVIIIe, est arrivée depuis longtemps à un état de nullité assez inoffensive. La routine et les abus y règnent dans une parfaite quiétude ; Oxford, jusqu’aux remarquables mouvemens de ces dernières années, le disputait à Rome pour l’absence de critique et l’obstination des partis-pris. Heureusement des germes d’un bien meilleur avenir se font jour çà et là, et de plus, mérite immense, sans exemple et sans égal, cette église officielle, opulente, patronée par l’état, réunissant les suffrages de la majorité, ne persécute plus les dissidens ; elle n’est d’aucun obstacle à la liberté ! — Dans les petites principautés d’Allemagne, la dépendance de l’église, après avoir produit au XVIIe siècle un état intellectuel assez effacé, a eu plus tard d’excellens effets. Grâce à la largeur de l’esprit germanique et à l’intelligence remarquable des princes allemands vers la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci, grâce peut-être aussi à ces riches facultés spéculatives que l’Allemagne semble expier par le manque d’influence politique, l’enseignement théologique des universités allemandes a atteint une hauteur, une liberté dont aucun siècle n’avait offert l’exemple. La division de l’Allemagne, qui l’avait faite protestante, portait ici son fruit ordinaire ; en créant la rivalité, elle créait la lumière et la liberté.

Ce n’est là qu’une exception, dont il ne faudrait pas tirer de conséquence. En général, la subordination de l’église à l’état est mauvaise et contraire aux vrais besoins de l’esprit moderne. En France surtout, elle serait fatale, et j’envisage comme une grande erreur l’opinion de très bons esprits qui cherchent de ce côté une solution à des difficultés sans cesse renaissantes. L’église gallicane de Pierre Pithou aurait eu tous les défauts de l’église anglicane, et n’en aurait peut-être pas eu les qualités. Les requêtes que les assemblées du clergé de France adressaient au roi avaient d’ordinaire pour objet de solliciter des actes d’intolérance. Je ne doute pas que de nos jours une église gallicane, dépendant de l’état, ne pesât de même