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qui n’ont guère de titre à la créance que d’avoir résisté aux sarcasmes de deux ou trois générations, on peut affirmer que le rationalisme environnant sera assez, fort pour les empêcher de doubler le cap après lequel la foi aveugle devient tradition : le point d’attache leur manquera. Le christianisme seul reste donc en possession d’un avenir. Seulement le christianisme est tout un monde : il faut, pour se faire une idée de ses révolutions futures, étudier son état actuel et la proportion des partis qui se sont formés dans son sein.


II

De tout temps, le christianisme a été très divisé. Résultat de trois siècles d’efforts absolument individuels, il trouva le principe de sa force dans cette division même et dans l’extrême activité qu’elle produisait. L’organisation primitive du christianisme fut en quelque sorte municipale, chaque église existant par elle-même et toutes les églises communiquant entre elles par des épitres et des envoyés reconnus. Les églises ne firent, à vrai dire, que continuer le vaste système de synagogues qui couvrait l’empire à l’époque d’Auguste, et qui s’est continué chez les Juifs à peu près jusqu’aux temps modernes. La vie intime des communautés juives au moyen âge, et encore de nos jours dans les pays où le judaïsme a conservé son organisation originale, est le type de ce qui se passait dans les églises du temps de saint Paul, de saint Ignace, de saint Irénée : mêmes rivalités, mêmes cabales, même éveil sur les questions de doctrine, de discipline, de hiérarchie. Les églises ont devancé l’église, et même quand celle-ci, devenue officielle, cherche à se modeler sur l’unité de l’empire, la division s’opère par un autre côté. Un parti d’opposition rationnelle se fait jour par l’arianisme et balance pendant près d’un siècle la destinée de l’église orthodoxe. Quand ce type de christianisme, trop avancé pour le temps, disparaît, sauf à revivre mille années après, une opposition bien plus profonde, celle qui tient aux races, commence à se faire jour. L’église se coupe selon la division des deux grandes familles du monde antique. Ce que Rome impériale n’avait pu faire, Rome chrétienne ne le put davantage. De même que la langue latine, à l’heure même où elle étendait ses conquêtes jusqu’en Écosse et en Irlande, s’arrêtait à Naples, devant la ligne grecque du midi de l’Italie, de même l’église romaine se trouva impuissante devant l’église grecque. Photius ne fit que servir d’instrument à une nécessité historique ; la séparation était faite depuis Constantin. Ces deux branches du christianisme continuent leur propagande durant tout le moyen âge : l’une s’assimile les peuples germaniques, l’autre les peuples slaves ; longtemps