Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/769

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sme, s’il avait su lire et si la Bible lui avait été connue directement. La combinaison religieuse de l’avenir, en supposant que l’avenir nous réserve à cet égard quelque surprise, ne viendra certainement pas de critiques et de théologiens. Des têtes ardentes, voyant les choses à travers le voile de leurs rêves passionnés, sont pour cela bien mieux préparées.

M. Salvador est sans contredit l’homme de notre temps qui a conçu une telle rénovation de la façon la plus large. Parfois il rappelle saint Paul par la chaleur de son âme, son ardeur révolutionnaire en religion, et la facilité avec laquelle il se meut au milieu de la confusion. Médiocre historien, il nous surpasse tous par l’entente pratique des choses religieuses. Nous sommes pour la plupart trop chrétiens pour n’avoir pas en religion quelque préjugé, quelque attache d’habitude ou de sympathie. M. Salvador est presque à notre égard ce que devaient paraître les Juifs aux païens de la Grèce et de Rome : un incrédule, un homme dégagé de la tradition, un railleur des dieux. Quelle vivacité originale dans le récit de sa vocation religieuse[1]! Quel prophète d’Israël a plus hardiment affirmé l’avenir de sa race ? « Avance, dit-on au Juif, et déclare-nous quel est ton nom ? — Mon nom ? Je m’appelle Juif, mot qui signifie louangeur ; célébreur invariable de l’Être, de l’Unique, de l’Éternel[2]. — Ton âge ? — Mon âge ? Deux mille ans de plus que Jésus-Christ. — Ta profession ? — Je laisse à l’écart les tristes professions qui m’avaient été faites, et dont je ne manifeste encore que trop l’empreinte et les conséquences ; mais ma destination à moi, ma profession traditionnelle est celle-ci : je garantis la sainte imprescriptibilité du nom de la loi, et je suis le conservateur vivant de la noblesse antique et de la légitimité attachée par droit divin au nom, au propre nom du peuplé. — Lève la main et promets de parler sans haine et sans crainte, de dire la vérité, toute la vérité. — Je sais de science certaine que, malgré ses admirables grandeurs, Rome est une cité usurpatrice, qu’elle n’est pas la vraie Jérusalem. Pour la gloire universelle de Dieu, de même que dans les intérêts positifs du monde, Rome doit être providentiellement transformée, doit être souverainement remplacée. Je sais de science certaine qu’il faut que la divinité de Jésus-Christ soit modifiée à fond ou rectifiée ouvertement dans une sainte et large mesure. Après avoir rendu au peuple ce qui appartient au nom du peuple, rendez à l’Éternel ce qui n’appartient qu’au nom de l’Éternel. Je sais aussi, et depuis longtemps, qu’il y aura lieu pour les autres nations de rompre un nouveau pain, d’inaugurer le vrai repos, le vrai sabbat de l’Éternel, de célébrer de nouvelles pâques.

  1. Paris, Rome et Jérusalem, tome Ier, pages 243 et suivantes.
  2. Le philologue aurait ici quelques réserves à faire.