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d’incendie que toute grande société porte en son sein ? Comment les proportions des familles religieuses qui se partagent le monde peuvent-elles être modifiées ? Quelques livres récens ont appelé l’attention sur tous ces points. Un écrivain connu depuis longtemps par des ouvrages d’une pensée individuelle et hardie, M. Salvador, a publié sur les questions religieuses un des livres les plus originaux qui aient paru depuis des années. Un jeune et brillant publiciste, dont le noble cœur sait comprendre tout ce qui est libéral, M. Prévost-Paradol, en réimprimant un écrit publié il y a plus de trente ans par un des hommes de la génération passée qui eurent le plus de pressentimens de l’avenir, y a joint des vues pleines de justesse et de force sur l’état des diverses communions chrétiennes. Un anonyme a exposé avec une vigueur remarquable les conséquences qui résultent de notre législation des cultes et montré ce qu’il faut entendre par la liberté religieuse. Enfin des événemens contemporains qu’on ne discutera pas ici, car il y a de la gaucherie à proposer sans être consulté des solutions pour des problèmes qu’on n’a pas soulevés, des issues, pour des situations qu’on n’a pas faites, ont montré combien les questions religieuses sont encore mêlées au mouvement du monde, combien la politique en doit tenir compte, et combien les maximes suivies jusqu’ici sont devenues insuffisantes en présence des faits nouveaux qui se sont produits. Il faut rechercher si l’on est autorisé à tirer de tous ces faits quelques lumières sur les transformations possibles du code religieux de l’humanité.


I

La première question qui se présente quand on réfléchit sur l’avenir religieux du monde moderne est celle-ci : Peut-on croire qu’il apparaîtra une forme religieuse nouvelle, expression complète et originale des besoins des temps nouveaux, ou bien ces besoins chercheront-ils à se satisfaire en modifiant diversement les cultes existans ? En d’autres termes, en dehors du judaïsme, du christianisme, de l’islamisme, qui occupent à eux seuls depuis douze cents ans le champ clos de la civilisation, se formera-t-il une autre religion n’ayant pas plus de lien avec ces trois-là que Jésus n’en eut avec Moïse, et Mahomet avec Jésus ? Ce problème prend dans le livre de M. Salvador un relief singulier. À égale distance et de l’orthodoxie, qui se renferme dans les symboles de l’une des trois religions, et de la libre symbolique, qui les interprète en des sens de plus en plus raffinés, et du déisme, qui n’en garde que le squelette desséché, et de la critique, qui cherche à en saisir la valeur dans l’ensemble total du mouvement de l’humanité, M. Salvador occupe une place à part dans