Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/761

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Paris que par sa collaboration, avec Boïeldieu, à un opéra de circonstance, Charles de France. Il y a de très jolies choses dans la partition des Rosières, dont la pièce est fort amusante : l’ouverture d’abord, qui est clairement dessinée, et où quelques soupirs de cor, au commencement, indiquent déjà le style du Muletier ; puis viennent deux jolis morceaux pour voix de ténor, l’air de Bastien et celui du comte, Gentille rosière, la ronde que chante Florette et le quatuor qui suit, où l’on sent poindre l’instinct de modulation qu’Hérold développera plus tard. Au second acte, on remarque encore un quatuor avec chœur plein de charme, la romance d’Eugénie, Je suis sage et j’obtins la rose, qui est accompagnée avec beaucoup d’élégance ; le duo pour soprano et ténor, qui rappelle la manière de Boïeldieu, et la marche avec la scène finale, qui est un petit chef-d’œuvre. Au troisième acte, on peut signaler aussi un joli duo pour soprano et ténor qui se termine en trio, et les couplets que Mlle Girard chante avec esprit. C’est beaucoup pour un opéra en trois actes, qui n’a pas les proportions exagérées des ouvrages du jour, que d’offrir tant de morceaux agréables et piquans, revêtus d’une harmonie distinguée et d’une instrumentation claire, nourrie et déjà traversée par des modulations incidentes qui trahissent le génie d’un coloriste et d’un compositeur dramatique. L’opéra des Rosières, dont on vient de publier la partition pour piano et chant avec un soin et un goût qui font honneur à l’éditeur ainsi qu’à l’artiste, M. Léo Delibes, qui l’a arrangée, reparaîtra probablement au Théâtre-Lyrique, où il a été exécuté avec ensemble et beaucoup de succès. Nous ne croyons pas être téméraire en présumant que les Rosières seront plus profitables à l’administration du Théâtre-Lyrique que Crispin rival de son maître, comédie de Le Sage mise en opéra-comique par un chef de musique de régiment, M. Sellenik, et que l’Auberge des Ardennes, chef-d’œuvre en deux actes de MM. Michel Carré et Jules Barbier, illustré par la musique de M. Aristide Hignard ! Nous préférons à tout cela les Dragons de Villars, opéra-comique en trois actes, qu’on vient aussi de reprendre au Théâtre-Lyrique, où il a été représenté pour la première fois il y a quelques années. L’opéra des Dragons de Villars, que la province, après Paris, a accueilli avec beaucoup de faveur, est l’œuvre soignée et souvent réussie d’un compositeur de mérite, M. Aimé Maillart, qui a été récemment l’objet d’une distinction honorable que, pour notre part, nous trouvons très bien méritée. Le Théâtre-Lyrique, qui est dirigé maintenant par M. Réty, successeur de M. Carvalho, dont il veut suivre les bons erremens, nous promet une saison intéressante. Gluck ne serait pas abandonné ; on reprendrait Orphée, et on essaierait, avec le concours de Mme Viardot, Iphigénie en Aulide, ou Alceste peut-être. Qu’on ose donc faire le bien, puisque tant d’autres ne se gênent pas à faire le mal.

On a fait beaucoup de musique en Europe pendant l’horrible saison qui s’appellera l’été de l’année 1860. Dans le mois de juin, le 24, trois mille orphéonistes réunis de tous les coins de la France par M. Eugène Delaporte, l’organisateur et le chef de cette institution intéressante, se sont transportés à Londres, où ils ont été reçus par de bruyantes acclamations. Quatre séances de musique chorale ont été données au palais de Sydenham qui paraissent avoir produit un puissant effet et de très beaux résultats matériels.