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qui ont plus excité l’enthousiasme des journaux que celui du public. M. Roger fera bien de garder pour l’Angleterre ou pour l’Allemagne les restes d’une ardeur qui s’éteint depuis dix ans. Mme Ugalde, qui ne faisait pas l’ornement du Théâtre-Lyrique, où elle est restée quatre ou cinq ans, est revenue au berceau de ses succès. Si Mme Ugalde était femme à conformer son humeur à sa fortune et se résignait à n’accepter que des rôles secondaires qui exigeraient plus de verve que de goût, plus d’esprit et d’activité scéniques que de voix, elle pourrait être encore utile à un théâtre qui a autant besoin de comédiens que de chanteurs. Quelques opérettes en un acte ont été données à l’Opéra-Comique que, pour l’honneur de la chronologie, nous voulons bien mentionner. Qui se souvient encore de l’Habit de Milord, qui a été représenté le 16 mai, paroles de MM. Sauvage et Léris, musique de M. Paul Lagarde ? Le Docteur Mirobolan, dont la première représentation a eu lieu le 28 août, est une vieille pièce d’un contemporain de Molière, Hauteroche, qui lui avait donné le titre de Crispin Médecin. Ce sont MM. Cormon et Trianon qui ont approprié cette plaisanterie un peu trop prolongée peut-être aux besoins de la musique que M. Gautier s’est chargé de composer. M. Gautier, qui a déjà écrit la musique de deux ou trois opéras en un acte, tels que Flore et Zéphir au Théâtre-Lyrique et le Mariage extravagant à l’Opéra-Comique, est un de ces compositeurs laborieusement fabriqués par le Conservatoire et couronnés par l’Institut, qui ont du talent, du métier, beaucoup d’assurance sans idées. M. Gautier me fait l’effet d’un homme gros et bien portant qui se croit plaisant, et qui débite avec assurance des lazzi d’un goût équivoque, qu’il prend pour des traits d’esprit, et peut-être pour mieux que cela. Je puis assurer à M. Gautier qu’il se trompe et qu’il rit tout seul de ses propres facéties, qui laissent le public froid. Dans toute la partition du Docteur Mirobolan, où MM. Couderc, Lemaire et Mlle Lemercier sont si drôles et si franchement comiques, je n’ai pu remarquer qu’un agréable duo entre Crispin et Dorine. L’administration de l’Opéra-Comique a dédommagé le public de toutes ces fades drôleries en reprenant, le 2 août, un charmant chef-d’œuvre de l’ancien répertoire, le Chaperon rouge de Boïeldieu. Pourquoi n’avouerais-je pas ma faiblesse ? J’aime mieux ces contes de Peau-d’Ane saupoudrés de bel esprit et de fausse naïveté, ces baillis vénérables, ces monseigneurs, ces Frontins, ces Colettes pimpantes, tout ce personnel classique du vieux théâtre de Monsigny et de Grétry, que les imbroglios prétentieux, la gaieté forcée et les élans d’une sentimentalité exagérée qui caractérisent la plupart des pièces modernes. Je ne prétends pas dire, assurément, que le libretto du Chaperon rouge, tiré d’un conte de Perrault par un faiseur habile, Théaulon, soit d’une contexture bien piquante ; mais, jouée par des artistes intelligens, cette pièce s’écoute avec plaisir, accompagnée de la musique de Boïeldieu, pleine de grâce, de sentiment et d’à-propos scénique. Le Chaperon rouge fut donné pour la première fois le 30 juin 1818 ; il était interprété dans l’origine par Martin, Ponchard, Mme Gavaudan, Boulanger et Desbrosses. Boïeldieu, qui avait alors quarante-trois ans, avait déjà composé un grand nombre d’opéras, parmi lesquels on remarque Zoraïme et Zulnare, le Calife de Bagdad, ma Tante Aurore, Jean de Paris, le Nouveau Seigneur de Village et la Fête du Village voisin. Dans tous ces ouvrages, Boïeldieu avait révélé une sensibilité exquise, un esprit fin, une imagination