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Angleterre, où personne ne craint que l’on suspecte le fond de sa volonté, où le milieu moral dans lequel on vit accepte a priori que quiconque prend la parole a pour but de servir l’intérêt général en poursuivant pour lui-même une influence dont la recherche est regardée comme une vertu et non pas comme un vice. C’est là ce qui explique pourquoi les Anglais sont si prompts et si féconds à produire en toute occasion, et à propos des plus petites comme des plus grandes affaires, des montagnes de projets et de solutions. Ce n’est pas du machiavélisme, c’est tout simplement le fruit naturel et sain d’une société qui se sent en paix avec elle-même, qui a su concilier l’ordre avec la liberté.

Quoi qu’il en soit, le plus accrédité des organes de la presse anglaise, le Times, proposait l’autre jour à l’Europe une solution qui me parait être de toutes la plus efficace et celle qui offre le moins de dangers réels. Sans préjudice de ce qu’il avait dit la veille, ni de ce qu’il allait dire le lendemain, il conseillait d’établir en Syrie un prince appartenant à l’une des familles souveraines de l’Europe. Ce serait un grand parti à prendre, qui aurait certainement, bien ses périls, et qui ne pourrait passer dans les faits qu’à travers bien des difficultés. Tout considéré, ce serait peut-être cependant le plus sage et le plus prudent, quoiqu’il soit le plus radical, il n’y a point à se le dissimuler.

Les objections que soulève ce projet sont de deux genres : les unes font valoir les droits écrits et reconnus du sultan sur la Syrie, les autres prennent pour texte la jalousie qui divise les gouvernemens de l’Europe, et qui les empêcherait de consentir les sacrifices nécessaires pour assurer la réalisation du projet. Quant au pays lui-même, il n’y ferait véritablement obstacle qu’autant que l’Europe le voudrait bien permettre. Il est encore plongé dans un état de barbarie, d’ignorance et de discordes tel que personne sans doute ne pense à le consulter, soit par la voix de ses cheiks, de ses émirs ou de ses notables, soit même par la voix du suffrage universel, sur le gouvernement qu’il conviendrait de lui donner. Je tiens pour très sérieuse l’objection qui se tire du droit public des nations, lequel ne permet de distraire légalement la Syrie de l’empire ottoman qu’à la suite d’une guerre heureuse que personne aujourd’hui ne saurait déclarer justement à la Turquie, ou que par un effet de la libre volonté du sultan. Loin de penser que la facilité avec laquelle on dispose maintenant des couronnes soit une raison que l’on puisse alléguer pour autoriser une nouvelle violation des principes, il semble que c’est au contraire un motif de plus pour les défendre avec autant de vigilance que jamais. Dans l’affaire qui nous occupe néanmoins, ce qui serait le plus dangereux, ce ne serait pas