Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et économique, celui qui associe dans une large mesure les vivres aux produits exportables, tend à se rétablir, et, dussent les états de douane en briller moins, c’est une tendance à louer sans réserve, car elle est favorable à l’accroissement et au bien-être des populations, et diminue les risques et les oscillations de la fortune publique et privée, en l’asseyant sur la consommation et le commerce de l’intérieur, à l’abri des jeux commerciaux, des caprices de la mode et des lois des métropoles. On devra à cet ordre nouveau de voir cesser cette glorification exclusive des denrées d’exportation, qui était un résultat de l’esclavage.

Cette considération donne au bétail une importance qui a toujours été méconnue. Le régime artificiel qui a fondé les colonies sur la servitude, sur les monopoles, sur le commerce extérieur, a réduit nos Antilles à importer de la France, qui elle-même les demandait à l’Irlande, des viandes séchées et salées, à se nourrir de morue de Terre-Neuve, souvent avariée, alors que de vastes et fraîches savanes laissaient perdre des herbes qui auraient élevé et engraissé de nombreux troupeaux. Les bestiaux que les deux îles possèdent ne sont que des animaux de travail. Des bœufs, achetés les uns à Porto-Rico, les autres au Sénégal, sont employés aux transports, en même temps que des mules du Poitou et des États-Unis, qui ont remplacé les chevaux de la Martinique, jadis renommés pour leur allure vive et sûre. Les moutons sont peu multipliés malgré les conditions favorables que présentent les régions sèches. Les porcs seuls, dont les Espagnols eurent la prévoyante pensée de jeter quelques couples dans les îles à l’époque des premiers voyages, peuvent compter comme animaux de rente : ils y ont pullulé, comme dans toute l’Afrique, avec une prodigieuse fécondité. Quelques foires et concours nouvellement institués témoignent d’une tardive, mais juste appréciation de cette branche de l’économie rurale.

Autour des cultures et des savanes, vers le centre montueux des deux îles, s’étendent ces forêts profondes qui ombragent de leurs voûtes, impénétrables aux rayons du soleil, les pentes et les cimes des mornes et des pics volcaniques. Sous leurs sombres massifs, dans leurs rares clairières, se réfugiaient autrefois les nègres marrons, bravant les serpens à la mortelle blessure, vivant de fruits, de racines et de légumes, organisant entre eux des bandes sauvages, incessantes menaces pour les habitations voisines. Là croissent en futaies plutôt qu’en taillis une multitude d’arbres aux noms et aux propriétés à peu près inconnus en Europe. Bien que la circulation y soit rendue très difficile par les lianes jetées d’un arbre à l’autre comme des réseaux de cordages et de barrières, la hache du défricheur ou du constructeur s’est attaquée aux plus beaux sujets, qu’aucune