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l’autorité municipale put maintenir l’ordre dans la petite commune. On laissa, sans les troubler, quelques têtes volcaniques jeter feu et flamme aux séances de la société populaire ; mais la sécurité des personnes fut énergiquement protégée[1].

Deux faits étranges caractérisent assez bien l’attitude d’Oberkampf au milieu de l’orage révolutionnaire. Le 19 février 1794, il était requis par un certain Brunet, au nom d’une commission dont le rôle n’était pas spécifié, de se rendre le lendemain, « à onze heures du matin, au comité des banquiers et agens de change, à la ci-devant maison de Toulouse, rue de La Vrillière, pour affaire qui intéressait le salut public, et qui exigeait exactitude au rendez-vous. » La note suivante d’Oberkampf, écrite de sa main à la suite de cette pièce, indique quelle fut sa conduite. « La présente a été apportée à Jouy par un gendarme le 2 ventôse an II. Je suis parti tout de suite. On m’a dit que le salut de la patrie exigeait un crédit en pays étranger. On m’a présenté soixante billets solidaires, formant ensemble la somme de 50 millions, souscrits par quarante-deux négocians ou banquiers, où il ne manquait que ma signature, que j’ai donnée sans hésiter. » La note n’en dit pas davantage. Quelle était cette commission dont le nom était laissé en blanc ? Agissait-elle au nom du gouvernement, ainsi que peuvent le faire supposer le ton impératif de la missive et la qualité du messager ? A quel objet devait s’appliquer ce crédit de 50 millions ? Ces questions sont restées sans réponse. Tout ce que nous savons, c’est qu’Oberkampf n’entendit plus parler des billets souscrits. Selon toute probabilité, la négociation de ces valeurs solidaires ne put s’effectuer en temps utile, et les titres durent être anéantis ; mais ce qui nous frappe le plus dans cette affaire bizarre, ce n’est ni la forme insolite de l’emprunt, ni la

  1. Ce qui frappe surtout dans les documens relatifs à cette époque, c’est le grand nombre de contributions financières auxquelles l’établissement de Jouy doit pourvoir. Le livre de caisse contient à ce sujet quelques chiffres dont l’intérêt ne sera pas méconnu. Voici le relevé des sommes qui y figurent pour les contributions extraordinaires :
    livres
    1789. Décembre Don patriotique 50,000
    1792. Juillet Souscription patriotique pour l’envoi de dix volontaires à l’armée du Nord 2,300
    1793. 24 mars Bourse des volontaires, habillement et équipement 5,123
    - Emprunt forcé en septembre, octobre et novembre 25,000
    - Emprunt national volontaire en décembre 65,640
    1794. Juin Souscription du cavalier jacobin, monté, armé et équipé 3,192
    — Août Contribution de guerre 16,480
    Total 167,735 livres


    Parmi ces sept articles, il n’y en a que deux ou trois qui présentent un caractère obligatoire, et ce n’est pas ceux dont le chiffre est le plus élevé. On voit avec quel empressement cet étranger naturalisé apportait, comme on disait alors, son offrande sur l’autel de la patrie.