Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le poète obtint un grand succès, et certes il était digne de toutes les sympathies par la noblesse de son caractère et par l’élévation de son esprit ; mais aussi quel facile auditoire ! Cœurs purs à qui il suffisait d’un nombre donné de tirades vertueuses et de sages maximes pour se déclarer émus et charmés !

De 1776 à 1782, il y a peu de faits importans à noter dans cette paisible existence. Quant à la manufacture, elle est de plus en plus en faveur. Les enfans de France avaient été plusieurs fois conduits dans les ateliers, et le jeune comte d’Artois s’était même essayé à manœuvrer la planche de l’imprimeur. Les châteaux de Bellevue, de Saint-Cloud, de Trianon, de Montreuil, avaient un ameublement de perses de Jouy. Un cruel malheur vint tout à coup jeter le deuil dans l’âme d’Oberkampf. Sa femme lui fut enlevée presque subitement par la petite vérole, dont elle avait contracté le germe en soignant un de ses enfans atteint de cette redoutable maladie. L’enfant avait été sauvé, mais la mort avait frappé la mère. Contre une pareille affliction, il n’y avait pour Oberkampf qu’une seule diversion possible, un redoublement d’activité. Les produits de Jouy étaient déjà connus avantageusement sur le marché extérieur ; mais on le voit, depuis cette époque, donner une rapide extension à ses relations commerciales avec l’étranger, et il a bientôt des correspondans à Copenhague, dans les principales villes d’Espagne et d’Italie, à Trieste, à Constantinople, à Salonique et jusqu’aux colonies. Quant aux places de Londres et d’Amsterdam, il y faisait des affaires considérables, et sa signature y valait celle des meilleurs banquiers. Pour alimenter ces nouveaux débouchés, la production s’accroissait incessamment à Jouy, et avec elle le bien-être s’étendait aux villages voisins.

Louis XVI voulut récompenser les services rendus par un étranger à l’industrie française. Après avoir, par lettres patentes en date du 19 juin 1783, conféré à l’établissement de Jouy le titre de manufacture royale, il accorda spontanément, dans le mois de mars 1787, des lettres de noblesse à l’ouvrier naturalisé et hérétique par-dessus le marché[1]. Deux ans plus tard commençait la révolution française. Oberkampf n’était pas et n’a jamais été un homme politique. Sincèrement dévoué à sa pairie adoptive, il avait beaucoup d’affection et de reconnaissance pour le roi ; toutefois ses parchemins étaient de trop fraîche date pour avoir quelque influence sur ses opinions. La liberté et l’égalité ne pouvaient effrayer ce fils de ses œ

  1. Voici le règlement d’armoiries dressé à cette occasion par Antoine-Marie d’Hozier de Sérigny, chevalier juge d’armes de la noblesse de France. Les armoiries d’Oberkampf étaient « un écu d’azur à une colonne d’argent, sur laquelle est un coq de même, la tête contournée, et un chef cousu de gueules, chargé de trois annelets d’or ; ledit écu timbré d’un casque de profil, orné de ses lambrequins d’or, d’azur, d’argent et de gueules. »