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tait encore dans l’enfance. On n’imprimait alors qu’au bloc, et, dans l’impossibilité reconnue de fixer en une seule fois toutes les nuances, on avait décomposé l’opération. La première impression traçait les contours du dessin. On donnait le nom de moule à cette planche, en raison de son importance ; puis venaient les rentreurs, imprimeurs de seconde main, qui, ainsi que l’indique leur nom, rentraient dans le premier cadre, et appliquaient successivement la deuxième, la troisième ou la quatrième couleur. Ce n’est point ici le lieu d’entrer dans de longs détails sur les opérations accessoires. auxquelles donnait lieu l’impression des toiles. Il faut dire toutefois un mot d’une catégorie d’ouvrières qui formaient comme le lien entre la nouvelle industrie et les antiques procédés de l’Inde : c’étaient les pinceauteuses, chargées de colorier à la main certaines parties des indiennes déjà avancées en fabrication, où elles ajoutaient diverses nuances que la planche ne pouvait reproduire, notamment le bleu d’indigo. Elles se servaient uniquement pour ce délicat labeur d’une mèche de cheveux.

Dans une industrie où les moyens mécaniques étaient encore si peu développés, l’habileté de chaque travailleur était chose essentielle pour arriver à un bon résultat. Aussi Oberkampf mit-il tous ses soins à former un noyau d’ouvriers d’élite, dessinateurs, graveurs, teinturiers, imprimeurs, coloristes, etc. En outre, pendant le voyage qu’il venait de faire en Suisse, il avait pris des arrangemens en vue de cet important objet. La maison paternelle, accrue par l’accession d’un gendre, J. Widmer, était chargée, lorsqu’un bon ouvrier témoignerait le désir de venir en France, de le diriger sur Jouy, en lui fournissant les avances nécessaires pour ses frais de voyage. Par cette voie arrivèrent, sur la fin de 1764, deux graveurs et un dessinateur. Celui-ci était de Zurich, et se nommait Ludwig Rohrdorf. Avec Hafner, imprimeur, qui avait travaillé à l’Arsenal auprès de Christophe, et Bossert, habile graveur, son camarade d’Aarau, le dessinateur zurichois devint le coopérateur zélé en même temps que l’ami du maître. Ces trois jeunes gens formèrent son état-major. Il vivait avec eux dans une amicale familiarité. On les voyait prendre debout, sur la même table d’imprimerie, leurs repas, qu’on apportait du village à huit sous par tête. Un trait particulier du caractère d’Oberkampf, c’est que la prospérité ne changea rien à ces fraternelles habitudes. Quand sa belle maison d’habitation fut construite, il y installa ses compagnons de travail, et ils restèrent ses commensaux comme par le passé.

Le succès s’annonçait par des signes certains ; bien qu’on eût commencé à s’agrandir autour de la maisonnette, même avant l’accession de M. Demaraise, la fabrication était toujours restée au-dessous des exigences de la demande. Il fallait donc à tout prix multiplier