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riel de l’atelier. Un menuisier mécanicien fut appelé à Jouy pour compléter l’outillage, et l’installation fut achevée dès les premiers mois de l’année 1760 ; mais quelle installation ! La maison était si petite, qu’il n’y eut pas moyen d’y loger la chaudière pour les couleurs ; il fallut l’établir à l’extérieur, sous le ciel, sans plus de façons que s’il se fût agi de la marmite ébréchée d’un campement de bohémiens. L’étroite enceinte put contenir le reste du matériel. Quant à y placer quelques meubles, il ne fallait point y songer. Tout ce qu’on put faire, ce fut de convertir le dessous de la table à imprimer en une vaste armoire à l’usage de la communauté. Cette table eut encore une autre destination : le soir, un matelas succédait aux instrumens de travail, et elle servit ainsi de lit pendant quelques mois au futur millionnaire ; les autres compagnons avaient leur gîte dans le village. Telle fut l’humble origine de cette manufacture de Jouy, destinée à devenir le plus vaste établissement de l’industrie française.

Ce fut le 1er mai 1760 qu’Oberkampf imprima lui-même la première pièce de toile. Son frère et les deux ouvriers suisses se mirent à l’œuvre avec l’ardeur de la jeunesse. Il ne pouvait être question de division du travail pour un personnel aussi restreint. Chacun se multipliait sous l’intelligente direction de Christophe, et passait d’une opération à l’autre, selon le besoin du moment. En moins de deux mois, une quantité assez considérable d’indiennes se trouva prête à être livrée à la vente. Malheureusement la partie commerciale n’était pas placée en des mains aussi expérimentées que la partie technique. Tavannes, qui, en sa qualité de bailleur de fonds, s’était réservé le maniement des affaires, ne put parvenir à se débrouiller des premières difficultés. Quand les règlemens souscrits pour le paiement des toiles blanches vinrent à échéance, il ne se trouva point en mesure d’y faire face. Il eut toutefois le bon esprit de dévoiler en temps utile la situation à son associé. Celui-ci, que les soins de la fabrication avaient jusque-là complètement absorbé, n’hésita pas un instant. Bien qu’il eût été stipulé qu’il participerait aux bénéfices sans encourir aucune responsabilité dans les pertes, il donna d’abord ses économies de l’Arsenal, les vingt-cinq louis dont nous avons parlé ; puis il se rendit à Versailles pour mettre au courant des choses M. Parent, premier commis au contrôle-général des finances. M. Parent, qui s’intéressait à Tavannes, était allé plusieurs fois dans le naissant établissement de Jouy, et de ces visites il avait emporté un profond sentiment d’estime pour le jeune chef de l’atelier. Il promit d’obvier aux embarras de la situation. Son emploi lui avait donné de nombreuses relations dans le commerce parisien. Il proposa l’affaire à un négociant en soieries, qui, à la double condition qu’il entrerait dans la société et que sa maison de Paris centraliserait la vente