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de réquisition contre tout homme qui a navigué. C’était une mesure de guerre : depuis la paix, on y a complètement renoncé ; à moins d’en être réduit à des extrémités, il serait difficile de la faire revivre. En réalité, le marin exerce en Angleterre une profession libre ; l’état achète ses services et ne les impose pas. Il attire les hommes vers la flotte par des primes, des salaires et des rations constamment accrus, des avantages de position et de petites pensions de retraite. Ce n’est pas que ce système n’ait ses inconvéniens : le plus grave est de ne fournir que des ressources éventuelles au lieu de ressources certaines. En fait d’équipages, on ne sait jamais ce qu’on aura, ni quand et comment on l’aura ; c’est une sorte de cueillette dont l’abondance varie en raison des circonstances et des besoins. La marine commerciale est un terrible concurrent ; il faut lutter avec elle d’efforts et de sacrifices : rude tâche pour l’amirauté. Naguère elle s’en tenait à de courts engagemens, trois, quatre années au plus, et formait très superficiellement des matelots qui lui échappaient quand ils commençaient à devenir bons à quelque chose. On marcha ainsi jusqu’en 1852, époque où une enquête s’ouvrit. Deux opinions étaient en présence, les mêmes qui se reproduisent dans nos conseils consultatifs : l’une qui vise à essayer beaucoup d’hommes par voie de roulement, l’autre qui préfère en essayer moins et les mieux instruire ; l’une qui veut multiplier l’élément mobile, l’autre qui s’attache à accroître l’élément fixe. Cette dernière opinion prévalut, et depuis lors a commencé dans la flotte anglaise ce que l’on nomme le service continu, A la catégorie des engagemens de trois ou quatre ans, on en ajouta une autre qui embrassait dix années consécutives, avec de grands avantages en faveur de ceux qui se liaient pour cette période. Leur paie s’élevait en raison de la durée du service ; les voies de l’avancement leur étaient aplanies ; méritans, ils pouvaient passer d’une classe à l’autre, devenir sous-officiers et officiers à brevet, obtenir des pensions réversibles sur leurs veuves. Pour le matelot, c’étaient 6 pence par jour au bout de dix ans, 1 shilling au bout de vingt ans ; ils devenaient pensionnaires de Greenwich ou entraient dans le corps des gardes-côtes.

Voilà les moyens que l’amirauté a employés pour combattre les difficultés et les incertitudes de l’enrôlement. L’effet en a été bon ; il passe moins de marins sur la flotte, mais la flotte y a gagné plus de stabilité et de vigueur. La porte est d’ailleurs ouverte aux engagemens à court délai, et cette catégorie d’hommes compose encore le tiers de l’effectif. L’amirauté ne s’en est pas tenue là : elle a rendu sa sollicitude sensible à tous les degrés, elle a songé à ceux qui entrent dans la flotte et à ceux qui en sortent, aux enfans et aux vétérans ; elle a multiplié les écoles de mousses et donné un cadre à la réserve. Les mousses sont pour les équipages un précieux élé-