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de laquelle il a recueilli quelques notes pendant le montage, sans élever d’objections ; il sait qu’un corps placé au-dessus de lui n’en souffrirait pas de fondamentales ; il met de son mieux l’appareil en mouvement, et quand arrive un changement de mains trop fréquent pour le bien du service, il cède la place à son successeur après un court inventaire du matériel, et quelquefois sans lui confier les observations techniques qu’il a pu recueillir. Les défectuosités de ce régime sont évidentes ; il exclut l’esprit de suite, la tradition, les avantages de la continuité : il n’identifie pas l’homme à l’instrument, il crée pour ainsi dire un état de crise à chaque transmission qui s’opère dans le gouvernement des machines. Le remède est simple : tenir le plus longtemps possible attaché à son appareil le mécanicien qui le connaît et qui l’a étudié. En vain dit-on qu’il faut essayer et former beaucoup de sujets et qu’on ne sait vraiment ce que vaut une machine que quand elle a passé par un grand nombre de mains : c’est l’objection déjà produite au sujet des écoles spéciales ; elle ne soutient pas l’examen. Rien ne vaut le bénéfice d’une éducation suivie sur un point bien déterminé. Il faudrait en même temps aviser à ce que la transmission des machines ne se fît pas à la légère, et que l’éducation du mécanicien remplacé ne fût pas perdue pour le mécanicien qui le remplace. Il faudrait encore que celui qui doit conduire une machine fût admis à en juger préalablement le mérite, et comprendre un mécanicien en chef avec droit de vote dans les commissions de recette et d’examen. En retour de ces avantages, on serait fondé à demander aux mécaniciens plus de garanties : relevés à leurs propres yeux, ils auraient à un plus haut degré la conscience de leur responsabilité ; ils prendraient, sous l’empire d’attributions mieux définies, plus de consistance, plus de désir de bien faire, et se mettraient au niveau des autres officiers de la flotte pour l’esprit et la dignité de corps.

Voilà bien des points sur lesquels les réformes de l’organisation navale ont porté et peuvent encore porter : il en est d’autres de pur détail, par exemple la tactique des officiers de marine à terre, sur laquelle un capitaine de frégate, M. Laporterie, vient d’écrire un excellent ouvrage, que des hommes du métier ne sauraient trop consulter. Tout néanmoins s’efface devant une question capitale. On a songé aux équipages, aux canonniers, aux fusiliers, aux gabiers, aux timoniers, aux mécaniciens ; on oublie le cadre des officiers de marine. Ce cadre est au-dessous des besoins, et plus nous allons, plus les faits l’attestent ; en pleine paix, il a suffi de deux expéditions, celle de Chine et celle de Syrie, pour dégarnir nos ports et les laisser au dépourvu, surtout dans les degrés inférieurs de la hiérarchie. Il nous reste encore des amiraux disponibles, il nous reste peu d’enseignes et peu de lieutenans. C’est pourtant le cadre