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et trop de nuances. Pour assurer en même temps un certain nombre d’hommes d’élite aux bâtimens en réserve, le décret affecte par vaisseau 4 matelots canonniers brevetés à défaut de matelots d’élite ; — 3 par frégate, 2 par corvette, 1 par bâtiment d’ordre inférieur. Si nos renseignemens sont exacts, ces dispositions sont restées à l’état de lettre morte. La permanence des cadres ne s’étend pas à la réserve ; on en est encore, à peu de chose près, au régime d’autrefois. Or la réserve, c’est la flotte, moins les neuf vaisseaux de l’escadre d’évolution. Ne serait-il pas possible d’étendre, dans un certain degré, le bénéfice de la permanence à cette partie de nos forces navales qui en est privée ? Des plans bien simples ont été proposés qui méritent l’attention. Pour doubler notre armée active, il suffirait de donner un second, pour ainsi dire, à chaque vaisseau de l’escadre d’évolution, en versant la moitié d’un personnel de choix sur celui qui, au besoin, serait appelé à suppléer l’autre. On aurait, il est vrai, des effectifs réduits, mais on aurait en même temps, sans une augmentation sensible de dépense, dix-huit vaisseaux disponibles au lieu de neuf, les uns en cours de campagne, les autres prêts à y entrer. Aux uns et aux autres, en cas de besoin, on donnerait promptement un complément d’équipage. On aurait en outre un fonds permanent de 10,000 hommes d’élite, choisis dans les diverses spécialités maritimes, et retenus au service par les avantages qu’un budget sagement réparti permettrait de leur accorder. Qu’on adopte ce plan ou qu’on en imagine un autre, une meilleure organisation de la réserve n’en reste pas moins l’une des nécessités les plus urgentes et les mieux démontrées de notre établissement naval.

Une autre idée a été mise en avant, c’est l’adjonction aux équipages d’un certain nombre de soldats aguerris. Cette idée a soulevé des objections et mérite qu’on s’y arrête. La marine y répugne, elle tient surtout à s’appartenir. Ce sentiment s’explique, il ne faudrait pourtant pas l’exagérer ; ceux qui s’en appuient avec le plus de chaleur sont ceux qui font de l’inscription le premier et le dernier mot de la défense navale et ne veulent rien voir ni en-deçà ni au-delà. L’inscription a malheureusement des limites ; dans une guerre prolongée, on y toucherait promptement. Faudrait-il alors abandonner la résistance ? faudrait-il renoncer à chercher d’autres ressources et à se procurer ailleurs un supplément de forces ? Dès le début même, il serait peut-être sage de prévoir l’insuffisance de cet élément et de le ménager par des amalgames ; ce ne serait pas la première fois que des troupes auraient été embarquées à bord d’une flotte pour suppléer à la disette des marins : l’histoire anglaise et la nôtre en fournissent plus d’un exemple. Ce n’est jamais une règle, ce peut être un expédient ; des hommes de choix sont toujours des hommes