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marins n’avaient pas eu le temps de se classer et de se fondre. Aussi au premier gros temps cinq vaisseaux éprouvaient-ils de graves avaries, et dans le combat le service des canons était-il défectueux. Nous tirions aux agrès et aux mâts, tandis que les Anglais tiraient aux coques ; leurs ponts comptaient quelques blessés, les nôtres étaient jonchés de morts. À l’inexpérience des hommes s’ajoutaient ainsi les effets de mauvais systèmes. Ce qui survint de néfaste tient à ces causes combinées. C’est la leçon qui se dégage de ces événemens, et la faute dans laquelle il n’est plus permis de retomber.

L’instruction, voilà le nerf d’une flotte. Si la nôtre s’est relevée depuis ce temps, c’est à une instruction plus solide qu’elle le doit. L’instruction du marin n’est pas un fruit hâtif ; elle ne mûrit qu’avec le temps. Pour se former une idée de ce qu’elle est, il faut en suivre le développement dans ces mémoires de famille que M. Jurien de La Gravière vient de recueillir, et qui, après lui avoir servi d’exemple, resteront dans l’arme à titre d’enseignement. C’est son père qui est en scène ; aucune voix n’a plus d’autorité. Vice-amiral, préfet maritime, pair de France, il avait parcouru avec éclat tous les degrés de la hiérarchie, connu toutes les fortunes de la mer, passé par les épreuves de la captivité et assisté à l’enfantement laborieux de la marine nouvelle. Dans ces pages où l’intérêt ne faiblit pas, on voit comment une flotte parvient à sortir de ses ruines et à se reconstituer. C’est de 1820 que date ce mouvement ; nous en étions alors, pour notre force navale, au dernier degré de l’abandon, avec des équipages dissous et un matériel chaque jour dépérissant. Un ministre qui, à des vues droites, unissait une grande fermeté ne put, comme ses prédécesseurs, se résigner à ce spectacle. Il porta la question devant le conseil dans des termes qui ne souffraient pas l’équivoque, montra par des calculs précis comment on marchait à une destruction inévitable, et proposa de deux choses l’une : ou de renoncer à l’institution pour épargner la dépense, ou d’accepter les dépenses nécessaires pour conserver l’institution. Point de marine, ou une marine en état de se faire respecter. À son honneur, le gouvernement d’alors se décida pour ce dernier parti ; quelques millions furent ajoutés au budget. Depuis ce moment, les intentions ont été meilleures, et les actes se sont mis, dans le cours des temps, à la hauteur des intentions. On sait ce que le gouvernement de juillet y ajouta de sollicitude, d’esprit de suite, d’efforts et de sacrifices persévérans. Ce qu’a fait l’un des fils du roi Louis-Philippe pour cette arme de son adoption, il n’est permis à personne de l’oublier ni de le méconnaître. De là nous viennent les perfectionnemens les plus avérés, les réformes les plus salutaires. L’institution se rajeunit, s’anime ; l’art devient plus savant, plus réfléchi ; on sait où l’on va et comment on doit marcher ; on sort de l’empirisme pour obéir à