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grande habitation un petit village seigneurial. Au sein de la campagne, la division du travail s’est établie d’après les cultures, et les habitations se divisent en sucreries, caféteries, cacaoyères et cotonneries ; les plantes alimentaires donnent lieu à une cinquième catégorie, les habitations vivrières.

Le sucre est aux Antilles le pivot de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. C’est vers 1644 que la canne de Batavia, cultivée de haute antiquité dans l’Inde et la Chine, importée en Espagne par les Arabes, fut introduite par les Espagnols dans l’archipel américain. Dix ans après, un Juif venu du Brésil, Benjamin Dacosta, apportait à la Martinique les premiers engins à sucre, sans conjurer par ce bienfait la proscription dont sa race fut frappée quelques années plus tard. En un demi-siècle, la canne remplaça le petun ou tabac, le rocou, le cacao et l’indigo, qui avant elle se partageaient les champs : progrès économique plutôt que social, car les cultures primitives, s’accommodant de médiocres étendues et de bras européens, avaient multiplié le nombre des moyens et petits propriétaires, tandis que la canne à sucre, exigeant tout un vaste système de plantations et d’appareils accompagné de travaux très rudes, favorisa d’un côté la propriété aristocratique, de l’autre l’esclavage et la traite. Vers la fin du XVIIIe siècle, on commença de cultiver la canne d’Otahiti, au feuillage plus foncé, à la tige plus ligneuse, et renfermant un resou plus abondant et de meilleure qualité. En 1856, la Martinique comptait 542 sucreries, et la Guadeloupe 479, nombres qui ont dû s’accroître depuis lors, du moins dans la première de ces îles, où le café va déclinant d’année en année ; plus de la moitié des terres cultivées y sont couvertes de cannes. On évalue le rendement moyen de l’hectare à 1, 600 ou 1, 700 kilogrammes de sucre au prix de 50 centimes, et les frais à 400 francs.

Ce rendement laisse à désirer soit par la faute de la culture, soit par l’épuisement du sol, comme l’indique la comparaison faite avec la production de quelques autres Antilles, telles que Cuba, Porto-Rico, Trinidad. Ici la canne, pour ainsi dire inépuisable, pousse des rejetons annuels pendant toute une génération humaine, quelquefois au-delà, et, comme un arbre, permet une coupe réglée tous les ans. Dans les îles de moyenne fécondité, la canne dure encore sept ou huit ans ; dans nos Antilles, elle dure quatre ans au plus, donnant en cet espace trois coupes. Aussi la voix publique, d’accord avec l’intérêt personnel, réclame-t-elle de l’art agricole des progrès sérieux, tels que l’emploi des instrumens aratoires, des engrais, du drainage, qui ne sont encore pratiqués qu’à titre d’exceptions.

La charrue, que les émigrans français avaient introduite à l’origine, disparut dès que Colbert eut autorisé la traite des nègres et