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et de redoubler d’efforts pour y remédier. Sans rien exagérer, il est permis de craindre que nous n’en soyons là.

Nous ne voulons méconnaître aucun des graves motifs qui permettent de croire à la durée du concert entre l’Angleterre et la France, — l’état de l’Orient par exemple depuis la Chine jusqu’à la Syrie, et plus encore l’intérêt des deux peuples si étroitement lié avec l’intérêt même de la civilisation. Cependant, on ne peut se le dissimuler non plus, il est des symptômes dont il faut tenir compte, et qui témoignent que, pour les deux états riverains de la Manche, la longue période d’entente va faire place à une période non pas certes d’hostilité, mais de refroidissement. Sans se prononcer encore, des deux parts on s’observe. La communauté d’action sur les champs de bataille n’a pas désarmé les préventions de race ; les cœurs s’y sont moins prêtés que les bras. Les effets d’un traité de commerce auraient besoin, pour être sensibles, de l’épreuve du temps et de plus de concessions que nous ne sommes disposés à en faire. En attendant, de l’autre côté du canal, un bruit d’armes a passé sur toutes les classes et sur toutes les provinces : on s’est déclaré menacé pour devenir menaçant, on a pris à tâche de rendre la paix non moins coûteuse que la guerre. Les côtes vont se hérisser de forts, des volontaires se sont équipés à leurs frais, et ceux qui, comme moi, ont assisté à la revue de Hyde-Park et au tir de Wimbledon savent de quel esprit les populations anglaises sont animées. Le grief principal contre la France, on ne s’en cache pas, c’est de s’être agrandie récemment contre le gré de l’Angleterre, et, ajoute-t-on, en opposition avec des engagemens formels. On nous eût pardonné de modifier au profit d’autrui le droit public de l’Europe, on ne nous pardonne pas de l’avoir modifié à notre profit. De là des rapports plus équivoques et un déplacement d’alliances, qui, souterrainement commencé, se trahit déjà par certains actes. Un autre grief moins sérieux, il faut bien le dire, est le langage que tiennent chez nous quelques écrivains. L’enivrement de la victoire a frappé des cerveaux qui chaque jour refont à leur gré la carte de l’Europe. Quelle matière à diatribes contre les gouvernemens qui se sont montrés économes du sang et de l’or du pays, et qui regardaient la paix comme un bien assez précieux pour lui faire quelques sacrifices ! Les temps et les procédés ont changé. Autant on se montrait Il humble autrefois, autant on peut se montrer fier aujourd’hui. La France, assure-t-on, n’a plus à compter avec personne, et tout le monde est obligé de compter avec elle. Si dès ce moment elle ne reprend pas ses limites naturelles, c’est qu’elle y met de la générosité ; en ne dépouillant pas ses voisins, elle se montre discrète. Voilà ce qu’on dit, ce qu’on écrit dans un style et avec des airs assortis aux prétentions. Il peut paraître opportun de se classer ainsi soi-même et de flatter la vanité populaire, qui n’a pas besoin