Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais y serais-je, longtemps tranquille ? Quel orage se préparait ? Comment résisterions-nous à une masse de forces aussi terribles ?… De là une autre conversation d’un genre tout différent, et qui prit de temps en temps un tour assez triste. Ces dames craignaient tout. M. Schnell espérait. Je me rangeais aussi du côté de l’espérance, mais j’espérais surtout, malgré tant de préparatifs et de menaces, que nous ne serions pas attaqués, et que, si nous n’y étions pas contraints, nous n’attaquerions pas. J’étais mal instruit et bien loin de compte, car il s’était déjà passé deux jours depuis la bataille de Waterloo !

Deux heures s’écoulèrent rapidement dans ces entretiens, tantôt sérieux, tantôt gais, toujours animés et intéressans. Je quittai mes hôtes, emportant leurs vœux pour le bon succès de mon voyage et pour celui de nos affaires, et leur laissant tous les miens pour leur bonheur. Hélas ! peu de mois après, ce bonheur que je leur désirais était détruit. Mme Schnell succombait à la maladie de langueur qui la consumait depuis plusieurs années, laissant dans cette famille, dont elle était l’âme, un vide que rien ne pouvait remplir.

En sortant du Faucon, j’avais prié le sommelier de me chercher un bon postillon avec qui je pusse traiter pour les deux ou trois jours de route que j’avais à faire. En y rentrant à huit heures et demie,.j’en trouvai un qui m’attendait ; c’était le premier postillon du loueur de voitures habituel de l’auberge, et il proposait de me conduire avec ses trois meilleurs chevaux. Rien de mieux. Quant au prix, rien à discuter ni à débattre : 27 francs par jour, tout compris, et autant pour le retour, quoiqu’on ne revînt pas. Seulement cet homme ne voulut s’engager, avec moi que jusqu’à Yverdun, où nous arriverions le second jour. Là, nous verrions, me dit-il, comment seraient les choses, et s’il pouvait aller plus loin ; s’il ne le pouvait pas, je trouverais facilement quelqu’un dans l’endroit même pour les quatre ou cinq lieues qui restaient. Tout cela n’était que ruse et calcul d’intérêt pour couper en deux journées ce qui en ferait à peine une bonne ; mais je n’avais pas le temps de batailler, et je n’en aurais même rien fait, si j’avais eu plus de loisir, dans la certitude d’être battu. Cette affaire réglée, le reste de mes préparatifs ne fut pas long.

Rien n’étant venu pour moi de la part de M. de Gastella, je me fis conduire, chez lui le lendemain matin ; j’arrivai à six heures précises. Il venait de se lever, et sa lettre n’était point encore écrite. Après quelques excuses sur la peine que je prenais, sur celle que j’aurais encore d’attendre quelques minutes, il se mit à écrire, et cela ne dura pas en effet davantage. Il voulut absolument me lire sa lettre avant de la fermer. Ce n’étaient que des tendresses d’un