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logera, on vous soignera, on vous assurera tous les moyens de reprendre vos travaux. Nous nous vengerons ainsi, nous autres bons Suisses, de ceux qui vous oppriment et nous déshonorent.

J’écoutais les larmes aux yeux cet excellent homme ; je l’embrassai et lui répondis avec une effusion de cœur égale à la sienne. Notre conversation prit ensuite un ton plus tranquille en se portant sur d’autres objets, et pendant cette visite, qui dura près d’une heure, elle ne tarit pas un instant.

Nous convînmes que j’irais passer la soirée avec lui et sa famille dès que le major-général m’aurait quitté, afin qu’ils pussent savoir tout de suite s’ils seraient assez heureux pour avoir à s’occuper de moi. Ce furent les propres termes dont il se servit, et avec un serrement de main, une expression de figure et de voix qui y ajoutaient encore. — Cette cordialité suisse, me dis-je quand il m’eut quitté, vaut bien la politesse française, — En somme, je me trouvai très content du tour que prenaient mes affaires. Je retournerai en France, disais-je ; M. de Castella paraît se l’être mis dans la tête, et même être disposé à prendre la chose sur son compte, s’il le faut, et à me rendre libre de sa propre autorité. Si cela ne se peut, je resterai du moins en Suisse, et en attendant que je puisse me rapprocher de mes anciens amis, j’en trouverai ici de nouveaux qui m’adouciront mon exil.

Cinq heures vinrent, et presque aussitôt M. le baron de Castella. Son air gai m’apprit que j’avais lieu d’être content moi-même. — Voilà, me dit-il en me remettant avec mon passeport une autre grande feuille de papier, voilà votre affaire faite et parfaite. Lisez : les portes de la France vous sont rouvertes, et vous me voyez bien heureux d’avoir réussi.

Sur le passeport, dans le seul petit coin que tant de visa y avaient laissé vidé, était écrit de la main du baron : « Les autorités civiles et militaires sont invités de laisser passer librement M. Ginguené, retournant en France par Pontarlier. Quartier-général de Berne, 21 juin 1815. Le major-général de l’armée, CASTELLA. » Sur la grande feuille, la même invitation était répétée à part, écrite aussi proprio pugno, mais avec une variante essentielle : les autorités devaient non-seulement me laisser passer, mais me prêter assistance au besoin ; ma route était tracée par Yverdun, Jougne et Pontarlier.

Nous nous étions assis ; je ne savais comment exprimer ma reconnaissance à un libérateur si généreux, si simple, et qui faisait si peu valoir un si grand service ; mon émotion, qui était très vive, dut être plus expressive pour lui que mes paroles. « — Je vous ai dirigé, me dit-il, par la gauche du lac de Neuchâtel