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Nous venons, me dit-il de l’air le plus gai du monde, vous avertir de la part de M. le colonel Effinguer, commandant de cette division, de vous rendre tout de suite par-devant lui à Anet, à deux petites lieues d’ici. Voici M. le chevalier Effinguer, neveu de M. le colonel et son aide-de-camp, qui vous accompagnera. Moi, je suis le lieutenant-colonel de Scheffland. C’est moi qui commandais à Couvet, il y a deux mois, quand vous y passâtes avec Mme de Laharpe, et qui signai vos passeports.

— Ah ! oui, je me le rappelle, répondis-je ; vous y joignîtes même l’ordre de me présenter ici au bureau du commandant, qui se trouva être le même colonel Effinguer.

— Justement, reprit-il ; mais il faut, s’il vous plaît, partir tout de suite, c’est l’ordre de M. le commandant.

— Vous voudrez bien cependant, répliquai-je, m’accorder le temps de faire quelques préparatifs. Vous voyez ma vache ouverte et toute dépaquetée. Il faut qu’elle soit refaite et replacée sur ma voiture avec le soin nécessaire pour que mes effets ne souffrent pas de la pluie, qui ne tardera pas à tomber et à tomber par torrens ; il faut aussi que je fasse chercher un cocher et des chevaux, et que vous ayez la bonté de me dire si c’est seulement pour Anet que je dois faire mon arrangement.

— Je n’en sais rien, répondit-il ; mais l’ordre n’est que pour Anet.

— Eh bien ! je m’arrangerai en conséquence ; mais vous voyez, monsieur le lieutenant-colonel, qu’il ne me faut pas pour tout cela moins d’une heure. Je vous la demande. À sept heures précises, si M. le chevalier Effinguer veut se rendre ici, je serai prêt à partir.

Cela fut ainsi réglé, et ces messieurs se retirèrent, l’un avec sa face toujours riante, l’autre avec un air grave et empesé, quoique imberbe, et sans avoir jusque-là desserré les dents. Ce ne fut qu’en sortant qu’il se tourna vers moi tout d’une pièce et me dit : — Monsieur, vous voudrez bien ne pas oublier les trois paquets cachetés, dont un est de M. Usteri.

— Les voilà, monsieur, répondis-je très gravement et en les lui montrant sur une table ; vous voyez que je ne les ai pas oubliés.

Je n’avais pas un instant à perdre ; je fis d’abord prier Mme Descloux de donner tout de suite le compte de ma dépense, et son mari de me procurer sur-le-champ des chevaux et un postillon. J’écrivis en hâte quatre lignes à M. de Laharpe : « Je suis arrêté, enlevé, conduit à Anet sans savoir ce qu’on fera ensuite de moi. Si vous avez, comme je l’espère, des moyens de me servir, employez-les sans retard ; ne vous inquiétez point, mais agissez. Je vous embrasse et me recommande à votre amitié. » Quand Mme Descloux fut venue, ce qui ne tarda pas, je lui lus ce billet, le lui donnai tout ouvert, et la priai de le cacheter et de le faire parvenir à son adresse par la