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rapport à moi. Mon mémoire, que je lui avais confié la veille et qu’il avait oublié de prendre en sortant, me serait rendu dans la matinée. Du reste, il espérait qu’en son absence je me regarderais toujours comme engagé par ma parole, et que j’attendrais la décision de Berne dans le même état où il me laissait. Je le lui promis de nouveau en lui témoignant le regret que j’avais de son départ. Ce regret était sincère. Je ne pouvais que perdre au change par le retour du colonel Effinguer. En se levant pour me quitter, le commandant jeta les yeux sur ma table. — Mais, monsieur, me dit-il, vous m’aviez assuré que vous n’aviez avec vous ni lettres ni papiers qui pussent être suspects, et je vois là trois paquets cachetés. Ils doivent contenir des papiers, et vous ne m’en avez point parlé.

Je lui expliquai ce que c’était que ces paquets et quel en était le contenu.

— Je vous crois, me répondit-il ; mais je ne pourrai me dispenser de prévenir mon successeur, qui voudra sûrement voir ce qu’ils contiennent.

— Je les tiens à ses ordres ainsi qu’aux vôtres, répliquai-je, et je vous donne encore ma parole d’honneur qu’ils ne sortiront de cette place que pour être portés devant lui.

Là-dessus il me salua, je le reconduisis, et il partit. Il n’était guère que dix heures ; je vis que j’aurais le temps de faire une visite qui me paraissait indispensable. Neuchâtel avait pour gouverneur le baron de Chambrier, qui était ministre du roi de Prusse à Turin lorsque j’y étais ambassadeur. Pendant sept mois que nous y avions passés ensemble, nous nous étions vus fréquemment : c’était un excellent homme, plein de raison, de connaissances, et du commerce le plus égal et le plus doux. Il ne pouvait ignorer mon arrivée ni ma position. Je crus de mon devoir et de mon intérêt de me présenter chez lui. Je lui en demandai la permission par un billet, auquel il répondit verbalement que, si je voulais me rendre au château à midi après la messe, il me verrait avec grand plaisir. J’y fus exact. Il me reçut le plus obligeamment du monde, mais il répondit au peu que je lui dis de mon aventure en attribuant tout pour le fond aux circonstances, et pour les formes aux chefs militaires, qui dans tous les pays du monde, me dit-il, ne savent guère en employer d’autres. Les chefs militaires réunissaient en ce moment tous les pouvoirs, ce qui le mettait, à son grand regret, dans l’impossibilité de m’être utile ; mais il était charmé de me revoir et de pouvoir me remercier du plaisir et de l’instruction que lui avait procurés la lecture de mon ouvrage sur l’Italie. Là-dessus, il se mit à m’en parler en homme qui en effet ne l’avait pas seulement lu, mais étudie. Il finit en me demandant quand on pouvait espérer de voir la suite, qui était, disait-il, attendue avec impatience.