Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au commis qui sortit du bureau pour le prendre. M. de Laharpe, qui me suivait, donna aussi le sien. Ce fut à lui qu’on les remit tous les deux, et il me fit passer de nouveau le premier sur lequel était un visa pour Soleure. Nous marchâmes ensuite de conserve pendant à peu près une lieue. Nous nous quittâmes enfin à l’endroit où le chemin se sépare en deux. Je roulai vers Soleure, et mes amis vers Zurich.

Ma journée n’eut rien de remarquable. Je traversai des parties montagneuses et des gorges qui me parurent peu intéressantes. Je n’avais plus mon excellent cicerone pour mettre de l’intérêt aux localités les plus communes, aux ruines du moindre château, par des noms historiques et par de grands souvenirs. Je rencontrai plusieurs corps de troupes cantonales, et même de l’artillerie. Je ne sais si les protestations de neutralité n’étaient point encore dans les journaux, mais la déclaration de guerre était partout. À Langenbruck, où je dînai, un jeune officier suisse entra lorsque j’allais me mettre seul à table, et me demanda la permission de dîner avec moi. Il était de Neuchâtel, et parlait très bien français. Notre conversation fut assez animée. Il me tâtait sur la politique, sur la paix, sur la guerre. Il tournait, pour ainsi dire, autour de moi. Je m’expliquai librement sur le fond des choses et sur les affaires générales, sans entrer jamais dans rien de particulier, et dans cet entretien de près d’une heure entre un Suisse armé contre la France et un Français qui y rentrait, il ne fut positivement question ni de la Suisse ni de la France.

J’arrivai à Soleure à la chute du jour. À la porte de la ville, on me demanda mon passeport ; je le donnai sans l’ouvrir. On me promit que je l’aurais dans une heure à l’auberge de la Couronne, où j’allai descendre. Il y fut envoyé très exactement avec un visa pour Neuchâtel. Je le mis dans mon portefeuille et donnai des ordres à mon cocher pour partir à cinq heures du matin. L’aubergiste, en m’apportant du thé que j’avais demandé, m’apporta aussi la feuille de police, partagée en cinq ou six colonnes, où j’écrivis, suivant l’usage, mon nom, mon pays, mon état, le lieu d’où je venais et celui où je comptais aller. Je me couchai tranquillement, et fus debout le lendemain matin avant quatre heures.

À cinq, les chevaux étaient mis quand l’aubergiste vint me dire que M. le capitaine Monod de Morges, aide-de-camp du colonel Guiguer de Prangin, commandant de la division, me faisait demander si je voulais le recevoir. M. Monod, fils du landaman du canton de Vaud, avait épousé une sœur de Mme de Laharpe, chez qui je l’avais vu à Paris. Sa visite me parut toute naturelle. Après les premières politesses : — Vous allez à Neuchâtel, me dit-il ; permettez-