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auxquels il a été ainsi conduit achèvent de nous démontrer que les progrès de l’instruction primaire ne sont point en rapport avec la décroissance du nombre des crimes. Cependant il est important de remarquer qu’on prend ici tous les habitans en masse, et qu’on leur attribue hypothétiquement la moyenne d’instruction de leur département. Il se peut que la majorité des criminels d’un département dit instruit soit précisément composée de la minorité ignorante. Aussi la proportion d’instruction chez les condamnés ou les prévenus semble-t-elle fournir une meilleure preuve.

La répartition des différentes classes de crimes dans chaque catégorie d’état d’instruction permet du reste de juger de l’influence dès lumières. Si l’on classe dans chacune des quatre catégories mentionnées ci-dessus les crimes placés par ordre de fréquence, on trouve que pour la quatrième, c’est-à-dire celle qui représente les individus d’instruction.supérieure, l’attentat aux mœurs à l’égard des adultes occupe en France le vingt-cinquième rang, et l’attentat sur les enfans le seizième ; que dans la troisième catégorie, le premier crime se maintient au même numéro, et que le second descend au contraire au vingt-deuxième ; que pour la seconde catégorie, le premier crime occupe le quinzième, et le second le quatorzième ; enfin, pour la classe la plus illettrée, le premier crime est au vingt-deuxième, et le second au trentième : d’où il résulte que l’extrême ignorance est plus incompatible avec ces actes qui dénotent une profonde dépravation qu’une instruction plus développée. D’un autre côté, si l’on remarque que l’instruction s’est répandue en France et en Angleterre surtout à partir de l’année 1833, on sera frappé de voir que ce progrès est loin de suivre une marche inverse de tous les crimes qui tiennent à la dépravation des mœurs ; bien au contraire, dans les deux pays, on trouve, en comparant les chiffres annuels que fournissent les tribunaux pour les diverses classes de crimes relatifs à la débauche ou au désordre dans le mariage, une augmentation assez effrayante. Que l’on suive les courbes dessinées par M. Guerry, et l’on verra que les attentats à la pudeur sur les adultes ou les enfans, l’excitation à la débauche et surtout l’adultère sont dans une progression constante depuis 1835. L’infanticide et la suppression de part ont suivi une marche parallèle ; le premier crime atteignait en France son maximum en 1854. Le chiffre de l’adultère y était arrivé au triple de ce qu’il était vingt ans plus tôt[1].

Ces chiffres si tristes sont confirmés par les cartes de criminalité où

  1. L’Angleterre présente à cet égard un aussi fâcheux tableau que la France. Il y a cependant quelques légères différences à noter. Dans notre pays, la bigamie tend à diminuer : elle suit en Angleterre une marche progressive remarquable ; par contre, l’outrage public à la pudeur, qui décroît sensiblement chez nos voisins, s’est accru parmi nous. La prostitution se maintient en Angleterre à peu près au même niveau.