Une fois que nous avons constaté les propriétés d’un corps comme le caractère d’un individu, nous conformions notre conduite ou nos mouvemens au principe suivant : tant que des causes nouvelles ne viendront pas modifier les propriétés de l’un et le caractère de l’autre, ils demeureront tous deux les mêmes, et si nous nous apercevons que leur état respectif a changé, nous en concluons forcément que des causes inconnues ont agi sur eux. Nous tâchons alors de découvrir ces causes, afin de savoir de quelle manière elles tendent à les modifier, et dans ces modifications mêmes nous cherchons des effets constans et réguliers.
Humé en a fait la remarque dans ses Essais sur l’entendement humain : ce que nous appelons l’expérience des hommes et des choses est fondé sur ce principe, implicitement reconnu. Si la marche des événemens était aussi capricieuse qu’elle apparaît à des esprits peu attentifs, si les actes humains n’étaient point réglés par les motifs qui les déterminent, comment l’observation servirait-elle à les prévoir et à en assigner les résultats ? Nous avons beau parler de la spontanéité de nos déterminations, nous sommes enchaînés par un inextricable réseau de causes et d’effets, et nous sentons fort bien que plus nous avons tracé de points de ces courbes qui s’enlacent et s’entre-croisent, plus nous avons de chances d’arriver à connaître dans quelle direction se fera leur prolongement ultérieur. Ainsi que l’a remarqué un des plus éminens publicistes de l’Angleterre, sir G. Cornewall Lewis, aujourd’hui membre du cabinet, dans un intéressant ouvrage trop peu connu parmi nous[1] : en entrant dans le domaine des faits particuliers, nous avons plus clairement conscience de la possibilité de prévoir la marche des choses par une étude attentive et réfléchie des causes. Un esprit sagace sait calculer l’influence déterminée d’une mesure législative, l’issue d’une affaire, comme le médecin juge à l’avance de l’action d’un médicament ou assigne la terminaison d’une maladie. En général, une cause morale étant donnée dans un milieu préalablement connu, nous arrivons à en évaluer la puissance et l’étendue ; sans doute, comme l’observe en traitant du même sujet un économiste éminent, M. Mill, ces prédictions ne sauraient être absolues, mais elles suffisent pour nous indiquer sûrement dans quelle direction on devra chercher les effets.
L’idée de lois constantes est donc tout aussi fondée pour le monde moral que pour le monde physique ; d’ailleurs l’existence des unes implique celle des autres. En effet, la plus simple observation nous révèle l’étroite liaison des actes habituels d’un individu et de sa constitution physiologique. Nos actes tiennent le plus souvent à notre
- ↑ Essai sur l’Influence de l’autorité en matière d’opinion