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de leurs ressources financières, le nombre d’hommes capables de porter les armes, a fait exiger des agens du pouvoir des habitudes d’ordre et de précision. Enfin des sociétés de statistique se sont fondées, afin de provoquer des travaux d’ensemble.

La statistique a donc fait dans ces dernières années des progrès considérables. Lun des plus importans a été l’habitude de ramener les évaluations numériques à des unités communes et de s’attacher à tenir compte de toutes les circonstances accessoires qui peuvent modifier les chiffres obtenus. Il a fallu d’abord bien s’entendre sur les mots, ne pas ranger dans la même catégorie des faits désignés par le même nom, bien que de nature diverse. S’agit-il, par exemple, de comparer le nombre des crimes entre deux pays, il faut préalablement s’assurer de l’identité d’actes qualifiés d’un nom correspondant. Ce que l’on appelle assassinat en France est-il exactement ce qu’on nomme du nom équivalent en Angleterre ? Range-t-on dans la catégorie des simples délits contre les propriétés dans ce dernier pays ce que notre code a qualifié de la sorte ? Une foule d’autres précautions sont nécessaires pour rendre comparables les résultats de ces relevés. Aussi les évaluations statistiques sont-elles délicates et épineuses ; elles nécessitent des observations répétées pour une longue série d’années. Les erreurs dans un sens sont alors notablement compensées dans l’autre, et les faits qui ne se produisent qu’à des intervalles éloignés peuvent être recueillis en assez grande quantité et durant une succession suffisante de périodes pour que le nombre moyen qu’on en possède présente quelque signification. J’aurai soin d’ailleurs de ne m’adresser qu’aux statisticiens qui ont obtenu un brevet d’exactitude, et dont la méthode nous est elle-même une garantie de la rigueur de leurs chiffres et de leurs déductions. Entre les données qu’ils nous transmettent, j’accepterai uniquement celles qu’ils ont réunies dans les conditions favorables et qu’ils ont pu soumettre à un contrôle satisfaisant.

Dans la rude tâche qu’ils se sont imposée, au milieu d’un travail parfois si aride et si vétilleux, les statisticiens ont été nécessairement soutenus par la pensée de vérifier des théories posées à priori, d’arriver même à des lois simples susceptibles d’être formulées, à des moyennes dont le retour ou la progression définie lasse saisir la liaison des causes et des effets ; ils ont espéré porter l’ordre là où il n’y avait que le chaos. On dira peut-être que c’était une idée préconçue, soit ; mais cette idée, subordonnée rigoureusement aux chiffres, devient une sorte d’orientation, car il s’agit de s’assurer si les faits se dirigent dans tel sens ou s’ils’s'en écartent. Cette idée d’ailleurs, elle existe instinctivement chez tous les hommes. Nous avons la conscience de la permanence des faits qui résultent de la nature et de la constitution des choses ; tous nos actes sont réglés en conséquence.