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des chefs kabyles les plus acharnés à la guerre. Le tout était de savoir si cette bataille de Gualdras conduisait à une guerre indéfinie dont la prise de Tanger elle-même ne serait qu’une étape, ou à la seule paix possible, une paix de concessions et de transactions, propre à satisfaire la fierté de l’Espagne sans pousser les Arabes à la résistance du désespoir. Abattue, l’armée marocaine l’était assurément, et dès le lendemain même un envoyé de Muley-Abbas se présentait encore au camp d’O’Donnell pour demander la paix, pour traiter ; mais à quelles conditions ? La cession de Tetuan obstinément maintenue eût été toujours un obstacle insurmontable. La bataille de Gualdras elle-même ne faisait point disparaître une impossibilité qui tenait à tous les instincts de religion, de race et de nationalité. Céder Tetuan, c’était livrer le sanctuaire de la race arabe. Je me figure qu’en ce moment, aventuré avec son armée dans ces gorges solitaires entre Tetuan et Tanger, maître d’une résolution décisive laissée à la fermeté de son bon sens en présence des événemens, O’Donnell dut avoir une certaine émotion intérieure sous l’impassibilité de son visage. Il dut repasser dans son esprit tout ce qui le poussait en avant et tout ce qui lui disait de s’arrêter, se souvenant de l’Espagne et observant tout autour de lui, ballotté entre les excitations de l’opinion, qui lui arrivaient de loin, et le sentiment de la réalité, qui le pressait. C’était le résumé de cette lutte singulière qui depuis un mois se poursuivait partout, au camp et à Madrid, autour de la paix et de la guerre.

L’opinion publique en Espagne était belliqueuse et passionnée, ai-je dit : elle poussait à la guerre, elle ne voyait de paix possible et avantageuse que celle qu’on irait chercher Il Tanger ou dans toute autre ville de l’empire et qui laisserait Tetuan à l’Espagne. S’il fallait se contenter de quelques hauteurs autour de Ceuta, d’une indemnité d’argent ou de quelques garanties chimériques, le prix n’était-il pas disproportionné avec les sacrifices ? Était-ce la peine d’avoir risqué une grande guerre pour faire une petite paix ? L’expédition du Maroc n’était pas seulement un acte militaire, elle devait replacer l’Espagne au rang des nations civilisatrices et lui ouvrir un avenir nouveau en Afrique. — Ainsi parlait l’opinion, et la réalité, — cette réalité qui était sous les yeux d’O’Donnell, — lui répondait que prolonger la guerre, c’était se jeter dans une entreprise sans issue. Il ne suffisait pas de garder Tetuan, il fallait la fortifier, l’armer, la disputer sans cesse aux hordes ennemies du Riff. Ce ne serait pas une ville qu’on posséderait, ce serait un camp ruineux et inutile, impuissant à protéger une colonisation sérieuse, une industrie réelle. Télégraphe, chemin de fer, mouvement éphémère de commerce, c’étaient là des apparences ; le fond était rebelle et inhospitalier.