Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine à deux lieues de Tetuan. L’armée espagnole s’avançait, prête à tout, sans s’attendre néanmoins à une affaire sérieuse ce jour-là, lorsque, vers neuf heures, un feu croissant s’engageait de toutes parts, sur les hauteurs et dans la vallée. Ce qu’on avait réellement devant soi, c’était l’armée marocaine, forte de près de cinquante mille hommes, campée, il est vrai, au Fondack, où on comptait la trouver, mais venant, par un mouvement offensif audacieux, se heurter contre l’armée espagnole pour lui disputer la plaine de Gualdras, et faisant face à Rios sur les hauteurs, comme à Echague dans la vallée. Les Arabes paraissaient sur toutes les cimes. Des forces nombreuses de cavalerie s’agitaient dans la plaine. Au loin, on apercevait les camps marocains.

Ce n’était plus une escarmouche de guerrillas, c’était une bataille où s’engageaient successivement Rios, Echague avec le premier corps, Prim, puis enfin une division du troisième corps, appelée bientôt au combat. En peu d’instans, la mêlée devint terrible sur toute la ligne. Une chose à remarquer, c’est que les Marocains, si souvent éprouvés dans cette campagne, semblaient à la fin profiter de leurs défaites ; ils n’étaient pas plus audacieux, mais ils manœuvraient plus habilement, ils étaient mieux armés, et les positions qu’ils avaient choisies, il les défendaient avec un certain ensemble de mouvemens à la fois réguliers et pleins d’impétuosité. Après six heures de combat, la situation commençait à s’éclaircir. Rios, qui arrivait par les hauteurs, s’était assez avancé pour dominer la vallée et se lier au reste de l’armée. Echague, se déployant à gauche, avait successivement enlevé les positions les plus importantes ; au centre, Prim, chassant tout vigoureusement devant lui, s’avançait dans la plaine ; il avait en face des mamelons qui étaient comme la clé de la plaine et qui restaient à emporter. Ce fut le dernier épisode de la bataille. Deux fois les Espagnols se lançaient à l’assaut, et deux fois ils étaient obligés de céder le terrain un instant conquis, lorsque Prim, toujours le premier au feu, se précipitait encore à la tête des bataillons de Navarre et de Tolède, et finissait par rester maître des hauteurs. Les Arabes étaient définitivement forcés dans toutes leurs positions après une lutte désespérée où ils laissaient, dit-on, trois mille des leurs, et encore une fois l’armée espagnole campait là où on voyait le matin les tentes marocaines ; elle était maîtresse de la plaine de Gualdras, voyant s’élever devant elle les redoutables massifs du Fondack qu’elle avait à franchir, et où s’était repliée l’armée vaincue de Muley-Abbas.

C’était une victoire nouvelle, il est vrai, assez sérieusement disputée toutefois pour donner à réfléchir aux Espagnols, et qui coûtait assez cher aux Marocains pour tempérer un peu le belliqueux fanatisme