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aussitôt mettre de l’ordre dans la ville et nomma une municipalité composée de Juifs et d’Arabes. L’alcade était un Maure de cinquante ans, à la barbe grisonnante, au regard pénétrant, rusé et défiant. Il avait quelque, usage de la langue espagnole, ne détestait pas les Européens, et parlait avec une certaine liberté des abus du gouvernement marocain. Rios ne s’arrêta pas là ; il s’employa énergiquement à faire rentrer les Arabes émigrés, à assurer les approvisionnemens des marchés, et bientôt, mettant la main à une œuvre plus vaste et plus singulière, il entreprit la transformation totale de la ville. Il abattait les quartiers et les maisons, ouvrait des rues larges et droites qui se reliaient à une immense place, et substituait partout des noms espagnols aux noms arabes, Tetuan était en voie de devenir, une ville nouvelle, assainie, éclairée ; elle eut même son journal, l’Echo de Tetuan, œuvre de quelques écrivains qui suivaient l’armée ; elle allait avoir son chemin de fer ; l’électricité la rattachait au continent européen. On ne faisait pas violence aux Arabes dans le fond de leurs mœurs et dans leur religion, on faisait de leur ville une ville espagnole, et ce mouvement étrange s’accomplissait pendant que quelques santons accroupis murmuraient leurs prières, pendant que, du haut des mosquées, le muezzin jetait mélancoliquement les heures, aujourd’hui comme hier, comme toujours, depuis des siècles.

Au demeurant, l’œuvre de la guerre n’était point suspendue. L’armée, au contraire, se préparait à une entreprise plus difficile peut-être, mais sans doute décisive : c’était une marche sur Tanger. Groupée autour de Tetuan, promptement reposée, grossie de quelques forces nouvelles, telles que les bataillons de volontaires basques qui venaient d’arriver, la division Echague qui était restée jusque-là au Serrallo et qu’O’Donnell avait appelée à lui, l’armée n’attendait qu’un signal. Tandis que Rios tenait Tetuan, que Ros de Olano, avec le troisième corps, campait dans les huertas, et qu’une division de réserve, sous le général Rubin de Celis, restait à la Douane, Prim, je l’ai dit, était en avant sur la route de Tanger, dominant la vallée du Guad-al-Gelu, qui, en contournant Tetuan, va s’enfoncer dans l’intérieur, laissant entrevoir de pittoresques et verdoyantes perspectives coupées au loin par les hauteurs du Fondack. C’est là aussi que le général Echague, arrivant de Ceuta, allait se placer. Ces forces d’avant-garde poussaient déjà des reconnaissances dans le pays. Tout se disposait donc pour une marche nouvelle, qui cette fois tendait vers Tanger, lorsque tout à coup éclatait un bruit inattendu de paix et de négociation au milieu de tous les préparatifs de la guerre.

D’où venait-il, ce mot nouveau et inespéré de paix ? Il venait é