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après être restées longtemps des denrées de luxe, ont pénétré dans la consommation populaire[1].

Dans ce bassin maritime où se heurtent, resserrés sur un étroit espace, les passions et les intérêts de l’Europe, quel rang tient la France, représentée par les deux colonies que lui a laissées la fortune des armes ? Quel niveau de richesse et de puissance a-t-elle atteint et peut-elle atteindre ? Quels moyens conviendraient le mieux pour un plus favorable résultat ? À ces questions nous essaierons de répondre en embrassant les ressources naturelles et les forces humaines qui se trouvent en présence, les établissemens coloniaux qui existent, les conditions de leur complet essor et leurs légitimes espérances. Dans cette étude, il est juste de ne pas séparer la Martinique de la Guadeloupe malgré leur indépendance mutuelle en fait d’administration. Sous le rapport historique et politique, leurs destinées sont solidaires ; sous le rapport économique, leur rôle est à peu près pareil, et l’émulation qui les anime n’exclut point entre elles des sentimens fraternels.


I. — LE PAYS ET LES HABITANS.

La nature est belle dans ces îles comme dans la plupart des régions tropicales. Les premiers habitans des Antilles attribuaient le charme de leur archipel aux filles de la mer, qui secouaient au-dessus des ondes leur chevelure parfumée pour attirer les pêcheurs au milieu des écueils où elles cachaient leurs palais enchanteurs et perfides. Comme d’ordinaire, la légende n’était ici que l’instinctive et poétique interprétation des phénomènes de la nature. Dans ces parages, sous le souffle régulier des vents alizés, la mer déroule avec une majesté sereine ses larges et paisibles vagues, le jour transparentes à de remarquables profondeurs, la nuit semées d’étincelles et de traînées phosphorescentes. Les savanes et les forêts exhalent des senteurs que la brise emporte au loin sur l’Océan comme l’encens de la terre. Au-dessus de ces rivages, le ciel déploie l’éclat incomparable de son azur, et fait succéder, par intervalles égaux, aux incendies d’un soleil presque vertical les splendides illuminations des étoiles. La végétation ne connaît point le repos ; les arbres renouvellent sans fin leurs fleurs et leurs fruits, et traduisent en tableaux réels ces réminiscences de paradis terrestre, ces rêves de printemps éternel dont nous avons tant de peine, en notre froide Europe, à nous faire une image. Le règne animal reflète ces merveilles dans l’oiseau-mouche, le colibri, éblouissans d’or et de pourpre, de saphir

  1. Voyez, sur ce progrès de la consommation des denrées coloniales, l’Ile de la Réunion dans la Revue du 15 avril 1860.