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aussi efficace qu’elle aurait pu l’être avec plus d’expérience de la guerre ; elle ajoutait grandement aux difficultés par son insuffisance, sa lenteur, et la confusion de ses services.

Enfin, et par-dessus tout, depuis le premier moment, il y avait à se mesurer sans cesse avec un ennemi nouveau et infatigable, qu’on repoussait un jour et qui revenait le lendemain. Cet ennemi, quel était-il ? quelle était l’importance de ses forces ? L’armée marocaine, on le sait, se compose d’élémens divers. Le noyau essentiel et permanent est dans la partie régulière, dans les Maures du roi, et surtout dans cette fameuse garde noire, qui est comme un corps de janissaires toujours placé autour du sultan. Le reste se compose de milices provinciales, de contingens qui se lèvent en armes aussitôt que la guerre sainte éclate. Ces divers élémens se mêlaient dans les rassemblemens qui faisaient face aux Espagnols dès le premier jour, qui les suivaient en les harcelant sans cesse dans leurs mouvemens, et qui, en se repliant, allaient les attendre devant Tetuan, puis au Fondack. Dans son ensemble, l’armée marocaine, bien que souvent renouvelée et accrue des contingens envoyés de l’intérieur, n’a dû jamais dépasser quarante mille hommes ; elle avait pour chef principal Muley-Abbas, un des frères de l’empereur. L’issue de chaque combat ne pouvait être douteuse ; c’était la lutte de la force régulière, disciplinée, intelligente, et de la force désordonnée. L’armée marocaine n’avait ni organisation, ni tactique, ni artillerie ; elle n’avait que son fusil primitif, l’espingarde. Sa cavalerie elle-même, si renommée, montrait dans ses charges aventureuses plus d’éclat et d’originalité que d’art. Ces étranges soldats ne se battaient pas moins avec un courage allumé par le fanatisme religieux, saisissant toutes les occasions, multipliant les surprises, tenant leurs adversaires dans de perpétuelles alertes, et quand ils se précipitaient, poussant des cris sauvages, le haïk flottant, ils étonnaient un peu les Espagnols. Ils allaient se faire tuer jusque sur les retranchemens sans se rendre jamais. Aussi y avait-il peu de prisonniers. On en vit quatre ou cinq à Ceuta, et ce fut presque un événement. L’un de ces prisonniers blessés était un Arabe à la physionomie belle et pâle, au regard brillant et doux, à la barbe noire et soyeuse. Quand on lui parlait de son pays, de Mequinez, il fermait les yeux comme pour le voir de l’œil intérieur ; son visage s’animait, et il répondait avec cet accent indéfinissable de l’Arabe marqué du sceau étrange d’une conviction profonde et inaltérable. On lui parla aussi de Grenade, et il sembla rêver mélancoliquement. « Oh ! Garnata, dit-il, nous venons de là ! » C’était un caïd qui avait du malheur ; il avait été autrefois fait prisonnier par les Français trois jours avant la bataille d’Isly, et il était arrivé la veille d’une action pour se faire