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Sierra-Bullones. C’est dans une anfractuosité de ces montagnes, sur le penchant des dernières hauteurs, entre le point extrême du détroit et les contre-forts plongeant dans la Méditerranée du côté de Tetuan, que Ceuta est placée, toujours sous la menace d’une irruption barbaresque.

Quand on vient de l’Europe, Ceuta apparaît au fond d’une baie qui se déroule en croissant et dont les deux bras s’avancent dans la mer. À droite, sur le plus haut sommet, se dresse la tour d’El-Hacho, citadelle qui a servi souvent de prison politique, sorte de vigie placée pour surveiller le pays et avertir de l’approché de l’ennemi ; à gauche, on rencontre une plage pierreuse et le vieux Ceuta, qui n’est plus aujourd’hui qu’un amas de ruines. Au centre s’élève pittoresquement en amphithéâtre la ville à demi arabe, à demi espagnole, aux rues étroites et silencieuses, que la guerre est venue un instant animer de ses agitations et de ses bruits, et qui a été pendant cinq mois un camp, une étape, un hôpital. Sur les hauteurs voisines, au milieu de la verdure d’une végétation libre et inculte, se détachent deux points blancs, deux restes d’édifices. L’un est ce qu’on a nommé la maison du Renégat : c’est un marabout construit au temps passé, dit-on, par un renégat d’Espagne qui était devenu un saint musulman à la suite d’une déception d’amour, et qui s’était fait cette demeure d’où il pouvait contempler encore de loin la patrie. Au-dessus de la mezquita ou du marabout apparaît le Serrallo. Ce n’est qu’une ruine aujourd’hui ; c’était autrefois un vaste et magnifique palais maure, un Alhambra que l’imagination a de la peine à reconstruire avec des débris de colonnades, de patios intérieurs et des fragmens d’inscriptions effacées par la pluie et le vent. Au-delà du Serrallo enfin, à une certaine distance, se déroulent parallèlement deux lignes de montagnes : l’une verdoyante et couverte de bois épais, l’autre blanche et nue. On a sous les yeux la Sierra-Bullones, couronnant de ses crêtes altières ce paysage tranquille, sauvage et oriental. La dernière chaîne s’ouvre à l’horizon par une gigantesque et violente déchirure qui coupe verticalement les rochers. C’est par cette gorge étroite et profonde qu’on pénètre dans l’intérieur de ces massifs dont je parlais, dans cette Kabylie marocaine de l’Anghera, rivale de cette autre Kabylie du Riff et des Kabylies algériennes. C’est pour ainsi dire la porte mystérieuse de l’Afrique, difficile à franchir pour des chrétiens, ouverte seulement aux tribus guerrières et sauvages de l’intérieur.

Ce fut au Serrallo que le premier corps, conduit par le général Echague, alla camper à son arrivée, plantant le drapeau jaune et rouge sur une tour mauresque démantelée, et couronnant aussitôt de redoutes les hauteurs voisines, poussant ses retranchemens jusqu’