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barbarie. La guerre que l’Espagne est allée soutenir dans le Maroc n’a été qu’un épisode de cet étrange mouvement, un incident tout local si l’on veut, se détachant à quelque degré de l’ensemble des choses, ne se liant que de loin aux affaires contemporaines de l’islam, mais montrant sous un jour distinct et dans des conditions précisés ce conflit inévitable de deux esprits irréconciliablement hostiles entre lesquels la politique s’épuise à signer des trêves. Rien n’y a manqué, ni la farouche exaltation des peuplades arabes, ni l’entraînante résolution de l’Espagne, ni ces sombres couleurs que l’inclémence du ciel, la maladie, les épreuves de l’air et du feu jettent sur une expédition, ni enfin toutes ces émotions d’une lutte excitante et périlleuse qui a déjà ses histoires, ses légendes, son romancero, — oui, un romancero écrit sur le mode des vieux chants populaires par les plus beaux esprits de Madrid.

Lorsque la France, il y a maintenant trente années, allait par humeur chevaleresque châtier les pirates d’Afrique et planter son drapeau au sommet de la casbah algérienne, elle ne se rendait pas absolument compte de ce qu’elle faisait et de ce qui sortirait de son entreprise, comme il arrivé souvent à l’origine des plus grandes choses. En réalité, elle coupait en deux le monde musulman, qui jusqu’alors, partant des côtes de l’Océan, s’étendait sans interruption le long de la Méditerranée pour aller, des états turcs, gagner la Perse et l’extrême Orient. À mesure que l’œuvre de la France s’accomplissait, le Maroc s’est trouvé isolé, livré à lui-même, redoublant d’efforts pour sauver l’inviolabilité de sa solitude. Chose curieuse en effet dans un temps où l’univers est livré à toutes les explorations ! aux portes de l’Europe, voici une contrée moins lointaine et aussi fermée, aussi peu connue que la Chine, dont on cherche en ce moment à forcer l’entrée : c’est cet empire marocain, resté l’un des foyers les plus vivaces et les plus intacts de l’islamisme. Nos ambassadeurs pourraient à la rigueur se consoler de n’aller pas à Pékin, puisqu’ils ne vont pas à Fez et à Mequinez. De ce pays, que du haut des falaises européennes on peut voir se dessiner vaguement dans le bleu de l’horizon, on ne sait rien, sinon qu’il est sous le sceptre d’un prince, — roi, empereur ou sultan, — vivant dans son harem, entouré de sa garde noire, étendant une souveraineté nominale sur des tribus indisciplinées, qu’il ne s’inquiète guère de soumettre tarit qu’elles ne troublent que les étrangers, et qui ne se rallient par instans qu’à l’appel du chef de la religion, du descendant du prophète. Le Maroc a mieux réussi que la Turquie à se préserver de tout contact extérieur. Il se hérisse à ses extrémités de frontières et de côtes inhospitalières. Vers la France, c’est notre épée qui est obligée sans cesse de retracer une limite toujours violée, rendant