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laisse les arriérés de solde monter jusqu’à deux ans, si l’on reprend, pour leur faire tenir garnison en Syrie, ces troupes du corps d’armée d’Arabistan, qui sont infestées de toutes les passions locales, qui sont infiniment moins bien disciplinées et commandées que les corps de l’armée européenne, qui viennent de donner un si triste exemple de leur valeur morale, qu’arrivera-t-il ?

Qu’on ne l’oublie pas, la Syrie est située à l’une des extrémités de l’empire, à une distance où le bras d’un gouvernement qui va s’affaiblissant tous les jours ne peut plus se faire sentir qu’à de rares intervalles ! C’est comme un membre paralysé, livré aux germes d’une décomposition prochaine. Si la Syrie était, comme les provinces de l’empire en Europe, un pays véritablement occupé par les Turcs, qui exploiteraient le sol, qui auraient là des traditions de gouvernement, peut-être y aurait-il lieu de concevoir quelque espérance ; mais on ne peut guère considérer les Turcs que comme des étrangers en Syrie : la propriété du sol, qui est le signe auquel se reconnaissent les véritables maîtres, ne leur appartient pas ; la population d’origine turque qui existe dans le pays est renfermée dans trois ou quatre villes, comme les autres populations étrangères.

J’ai entendu proposer de faire de la montagne, de la Suisse syrienne si l’on veut, une espèce de confédération. Elle aurait un président, un gouverneur-général nommé par le sultan. Les diverses peuplades qui l’occupent, seraient formées en autant de cantons. Est-il besoin de faire ressortir toutes les impossibilités qui empêchent de prendre ce projet au sérieux ? Qui peut se figurer sans sourire un pacha turc présidant un conseil fédéral ? Et s’il n’y a pas de conseil fédéral, si chacun doit se gouverner et s’administrer à part, à quoi le pacha turc emploiera-t-il son temps et son talent, si ce n’est à diviser les tribus, à les animer les unes contre les autres, pour sauver sa chancelante autorité par le bénéfice de leurs discordes ? Ce qui rend possible une telle forme de gouvernement, c’est précisément la bonne volonté mutuelle et le sentiment de la solidarité réciproque des peuples qui l’ont adoptée. Ces conditions se rencontrent-elles en Syrie ? Ce n’est pas parce qu’elle est partagée en vingt-deux cantons plus ou moins indépendans les uns des autres que la Suisse forme, la confédération respectable et respectée que nous connaissons, c’est parce que les Suisses sont un peuple uni par les liens d’une civilisation commune, tandis qu’en Syrie il n’existe que des disparates, que des haines de races et de religions, que des fractions de peuples dont aucune n’est assez nombreuse par rapport aux autres pour qu’il soit possible de lui confier la prépondérance.

On a encore proposé de faire Abd-el-Kader gouverneur-général de la Syrie sous l’autorité du sultan, et de s’en rapporter à lui pour