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et des autres agens de l’autorité impériale. C’était de la barbarie si l’on veut, mais c’était une barbarie qui avait certains contre-poids.

Aujourd’hui l’on a changé tout cela, et l’on possède un système qui ne fonctionne pas trop mal sur le papier ; c’est dans la pratique seulement qu’il laisse beaucoup à désirer. Dans la crainte de voir reparaître ces grands feudataires, ces pachas qui se révoltaient trop souvent, on a inventé une organisation très savante qui divise tous les pouvoirs jusqu’à l’infiniment petit, si bien qu’il n’y a guère plus de pouvoir. Aux aristocraties locales on a substitué à tous les étages de l’administration des fonctionnaires que l’on a soin de déplacer tous les ans et de ne jamais employer dans le pays de leur naissance, de façon qu’ils sont partout sans crédit, sans racines, sans avenir. Il y a quelque chose de plus déplorable encore : c’est qu’un très grand nombre d’entre eux, je devrais dire le plus grand nombre, est à peu près complètement dépourvu de moralité ; de lumières, il n’en est pas question. En même temps qu’on créait le système, on oubliait la nécessité de former des hommes pour le faire marcher, et dans l’enthousiasme qu’inspirait la centralisation lorsqu’on l’eut découverte, on imagina que, pour rendre la chose complète, il fallait que toutes les nominations partissent de Constantinople ; c’était vouloir qu’elles dépendissent toutes du harem, ou de la faveur de quelques pachas en crédit, ou enfin des créatures de leurs créatures. C’est ainsi que, de degré en degré, on peut dire qu’un nombre immense de places se vendent ou se conservent à beaux deniers comptans. En définitive la centralisation, qui est déjà si difficile à porter pour les états les plus civilisés, produit dans l’empire ottoman une foule de maux. C’est même à cela qu’elle a réussi jusqu’à ce jour le plus et le mieux. Elle a donné naissance à une corruption pire peut-être que celle qui existait auparavant. En Occident, nous avons, pour nous défendre contre l’indignité des choix que la centralisation, abandonnée à elle-même, ne manquerait pas de faire, une foule d’entraves salutaires apportées au recrutement de son personnel. Telle est, pour entrer dans presque toutes les branches de l’administration, la nécessité d’avoir acquis les grades universitaires, ou, ce qui est encore d’une meilleure garantie, l’impossibilité d’y entrer autrement que par la voie des concours publics ; telles sont les lois sur l’avancement, telle est surtout l’existence de classes moyennes très nombreuses, très riches et très éclairées qui forcent les gouvernemens, sous peine de descendre à un degré impossible d’avilissement, à ne laisser tomber leur faveur et leur choix que sur des individus qui, par leur éducation, par leurs lumières et surtout par leur moralité, ne soient pas au-dessous du niveau moyen. En Orient, il n’existe rien de pareil, et s’il y paraissait un nouveau Caligula, je ne sais pas en